UniversCiné utilise des cookies afin de vous offrir une expérience utilisateur optimale.
En les acceptant vous nous permettez d’améliorer nos services, de mesurer notre audience, de personnaliser votre expérience et vous pourrez bénéficier des fonctionnalités relatives aux réseaux sociaux.
Vous pouvez personnaliser vos choix en cliquant sur « PERSONNALISER » et obtenir davantage d'informations en consultant notre politique de gestion des cookies.
À l’aube des années 1930, le jeune Visconti, issu d’une illustre famille descendante des seigneurs de Milan très versée dans les arts, est un amateur passionné d’opéra et de théâtre, et également un grand éleveur de chevaux de course. Il effectue un séjour à Paris, au moment du front populaire où il trouve la source de son engagement politique. Il rencontre aussi Jean Renoir et devient son assistant sur le tournage de La Partie de campagne en 1936.
Au début des années 40, il s’engage activement dans la résistance contre le régime de Mussolini. Dans le même temps, il participe à l’élaboration d’un projet cinématographique dont le but est de faire des films en prise avec le réel, le quotidien. En 1942, il réalise, selon ces principes, un film noir, adaptation du Facteur sonne toujours deux fois : Les Amants diaboliques (Ossessione), parfois présenté comme l’acte de naissance du néoréalisme.
En 1947, Visconti tourne La terre tremble. Joué par la population d’un village de Sicile, sans aucun acteur professionnel et avec un commentaire en voix-off, ce film profondément novateur fut reçu fraîchement à sa sortie. Il décrit la vie misérable des pêcheurs et la révolte d’une famille tentant d’échapper au joug des grossistes qui rachètent le poisson à bas prix. Dans La terre tremble, le témoignage social est servi par une esthétique flamboyante, l’utilisation de la lumière et du cadrage font de chaque plan un tableau.
Senso (1954) marque une profonde évolution dans l’oeuvre de Visconti. C’est son premier film «d’époque ». Et les couleurs, comme les costumes, les décors, la musique, sont au coeur du film. Il n’est plus question de peuple mais d’aristocratie. Le contexte historique reste essentiel. Mais dans cette histoire d’amour et de trahison entre une comtesse vénitienne rêvant d’une Italie libre et un officier autrichien de l’armée d’occupation, c’est la passion, le désir de la comtesse qui est le moteur irrésistible, incontrôlable, conduisant fatalement les personnages à leur perte. Parlant de ce film, Visconti déclara qu’il aurait plutôt aimé adapter La Chartreuse de Parme. En fait, on n’en est pas très loin.
Dans Nuits blanches (1957), Visconti donne sa vision de l'univers de Dostoievski dans une lumière et des décors qui rappellent l’expressionnisme allemand, et où se confrontent un amour rêvé et une réalité qui ne s’accomplit pas. L'ombre du romancier russe plane encore dans son film suivant, Rocco et ses frères (1960), oeuvre essentielle. À travers l’histoire de cette famille de paysans pauvres du sud venus s’installer à Milan, c’est toute l’évolution de l’Italie de l’après guerre qui est traitée. Certains se prolétarisent, d’autres se marginalisent. Mais c’est aussi la peinture de la structure familiale, des rapports de la mère et de ses cinq garçons. C’est surtout l’histoire de Rocco, dévoré de culpabilité qui porte personnellement tout le poids d’un monde qui se déglingue et dont Visconti dit qu’il fait partie des « prophètes désarmés auxquels je crois : Ghandi en somme ». La direction d’acteur n’a pas peu contribué à rendre inoubliables les jeunes Alain Delon, Annie Girardot et Renato Salvatori.
Visconti tourne ensuite Le Guépard (1963), grand film de structure classique et occasion de sa première collaboration avec Burt Lancaster, admirable, qu'il retrouve, en 1974, dans un film testamentaire, Violence et passion. Il y a certainement beaucoup du cinéaste dans le personnage de ce grand prince sicilien vieillissant, témoin lucide et compréhensif de la transformation d’un monde qui ne sera plus le sien. Visconti fit de Lancaster un évident alter ego.
Après Le Guépard, tous les films importants de Visconti vont traiter de thèmes liés à la décomposition familiale, à la décadence de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie, au vieillissement, à la mort. C’est d’abord Sandra (1965), avec Claudia Cardinale, oeuvre sombre et vénéneuse sur le désir d’inceste où les rêves et les non-dits de l’enfance resurgissent pour détruire les personnages devenus adultes. Puis Les Damnés (1969), film trouble sur l’installation du nazisme et le pourrissement d’une famille de maîtres de forges. Les luttes de pouvoir s’exercent sur fond d’orgies, d’inceste, d’humiliations et d’assassinats. C’est le premier film de Visconti avec Helmut Berger, qui tint une grande place dans la fin de sa vie. On a pu reprocher aux Damnés une vision réductrice plaçant la perversion sexuelle au centre du nazisme ; on lui a aussi reproché une forme de voyeurisme dont on retrouvera l’écho dans des films comme Portier de nuit de Liliana Cavani.
Atmosphère funèbre aussi dans Mort à Venise (1971), pourtant baigné par la lumière de la plage du Lido en août. Il est difficile de s’arracher de ce film, tiré du roman de Thomas Mann. Dirk Bogard, compositeur vieillissant et malade, y est ébloui par la vision d’un préadolescent blond, pâle, gracieux et aguicheur, qu’il suit comme un somnambule submergé et paralysé de désir, jusqu’à une mort fatale, inéluctable. Dans Ludwig (1973), où Visconti poursuit une reflexion sur l'art, la mort et les pulsions sexuelles, il offre à Helmut Berger le rôle de Louis II de Bavière, prince idéaliste, amoureux des arts et de Wagner, homosexuel contrarié, sombrant progressivement dans la folie. Ce film, un peu étouffé par son faste, sortit d'abord en France sous le titre Le Crépuscule des dieux (qui était le titre original... des Damnés !) et il semble aller comme un gant à l’ensemble des films de cette dernière période de l’oeuvre de Visconti.
Visconti était un amoureux de littérature. La plupart de ses films marquants sont tirés de romans, ou s'inspirent de l'univers des auteurs qu'il admirait. Son ultime film, tourné alors qu'il était très malade, dirigé depuis un fauteuil roulant, est une adaptation splendide de D'Anunzio, L'Innocent, dont on a beaucoup critiqué le côté mélodramatique suranné et l'interprétation médiocre (Giancarlo Giannini et Laura Antonelli, star sexy de l'époque, y remplaçaient Alain Delon et Romy Schneider dont Visconti rêvait au départ). Le cinéaste avait, dans le même esprit, bien d’autres projets qu’il ne put mener à bien, notamment l’adaptation d’ À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, ou La Montagne magique de Thomas Mann.
Parallèlement à sa carrière de cinéaste, il a réalisé de nombreuses mises en scène de théâtre et d’opéras, notamment à la Scala de Milan avec Maria Callas. Et l'on retrouve là encore, ce goût du lyrique et d'une affirmation de la "beauté" dans ses films. Luchino Visconti était avant tout un artiste.
Camille Cohen
_TITLE