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Né en 1900, à Calanda, Espagne, et disparu en 1983, à Mexico, il est entré en cinéma en signant une image inoubliable, qui, depuis 1928, n'a rien perdu de son pouvoir horrifique, celle du gros plan de l'œil fendu au rasoir, première scène de son premier film, Un chien andalou, chef-d'œuvre immédiat du surréalisme, court métrage imaginé et réalisé avec son compatriote Salvador Dali.
L'Âge d'or, qu'il tourne en 1930, illustration, également dans la ligne surréaliste, de l'amour fou en lutte contre les contraintes et les interdits sociaux, déchaînera des réactions violentes des ligues d'extrême-droite alors puissantes. Le scandale aboutira à l'interdiction du film, qui devra attendre cinquante ans avant d'être autorisé. Terre sans pain, le documentaire qu'il va tourner en 1932, dans les Hurdes, une région d'Espagne écrasée par la misère et la tradition religieuse, sera à son tout interdit par le gouvernement espagnol, peu soucieux de voir dévoilée une telle situation.
La carrière de Luis Buñuel, pourtant fils de bonne famille, élevé chez les Jésuites, bon étudiant en sciences à Madrid, ami de jeunesse de Federico Garcia Lorca, s'annonçait sous des auspices peu favorables. Au point qu'il mettra quatorze ans avant de pouvoir réaliser un nouveau film au Mexique (après avoir supervisé la production cinématographique des Républicains durant la guerre civile espagnole et travaillé comme monteur à Hollywood au début des années 40), dans le cadre du cinéma commercial le plus courant. Mélodrames sociaux, adaptations de pièces comiques célèbres, films sur le petit peuple de Mexico : il n'était pas maître des sujets traités.
Pourtant, cette production, nombreuse – il a signé une quinzaine de films entre 1946 et 1956 -, longtemps mal connue à l'exception de quelques titres, dont Los olvidados, plongée sans complaisance dans le monde des enfants des bidonvilles, prix de la mise en scène au Festival de Cannes 1951, recèle des perles. Malgré les scénarios et les acteurs imposés, Buñuel est parvenu à faire passer dans chaque film un peu de ses hantises personnelles, en respectant apparemment les commandes des producteurs. Des personnages décalés, uniquement animés par le désir (Susana la perverse, 1950, L'Enjôleuse, 1952), des rêves surréalistes envahissant brutalement une narration traditionnelle (La Montée au ciel, 1951), le détournement d'un bourgeois catholique en héros digne du marquis de Sade (Touments, 1953), tous ses films mexicains moins bien considérés sont "buñuéliens" au même titre que ses chefs-d'œuvre des années 60 et 70.
À partir de 1956, il entame avec Cela s'appelle l'aurore, une carrière internationale, qui l'amène en France (Cela s'appelle l'aurore, La Mort en ce jardin), au Mexique de nouveau (Nazarin,La fièvre monte à El Pao, L'Ange exterminateur) en Espagne (Viridiana), aux États-Unis (La Jeune Fille), en France enfin pour ses dix dernières années d'activité, avant de revenir finir ses jours au Mexique.
Le Prix international obtenu à Cannes en 1959 pour Nazarin, apologue à double fond sur un prêtre écartelé entre sa volonté de faire le bien et la réalité objective du monde, préfigure la Palme d'or décrochée en 1961 par Viridiana, version féminine du précédent, dans lequel une future nonne découvre les malheurs du bénévolat avant de renoncer à sa vocation ; le pied-de-nez, teinté d'humour noir, à la religion – une bande de mendiants y recréent une Cène sacrilège -, trente ans après L'Âge d'or, fit scandale et le film fut interdit dans son pays producteur, l'Espagne.
Le succès mondial, la possibilité de diriger les meilleurs comédiens - Jeanne Moreau dans Le Journal d'une femme de chambre, 1964, Catherine Deneuve dans Belle de jour, 1967 et Tristana, 1970, presque tous les acteurs français dans sa trilogie Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), Le Fantôme de la liberté (1974), Cet obscur objet du désir (1977 - n'empêchent pas Buñuel de continuer ses expériences extrêmes, consacrant un moyen métrage à un ermite vivant au sommet d'une colonne (Simon du désert, 1965) ou un film tout entier à des pélerins descendant vers Compostelle et discutant longuement des diverses hérésies qui ont parsemé l'histoire de la chrétienté (La Voie lactée, 1969).
Même au sein d'un cinéma "installé", il n'a jamais renié ses engagements premiers, où il tentait d'allier surréalisme et communisme, et persista à demeurer un esprit libre. Sa description des notables contraints de reporter indéfiniment un dîner à cause d'une série d'événements totalement incongrus (Le Charme discret…) développe, avec un semblable humour décapant, la séquence de la réception chez l'ambassadeur de L'Âge d'or ; l'homme incapable de satisfaire le désir qu'il éprouve pour la femme qui lui échappe (Cet obscur objet…, très ancien projet d'adaptation détournée de La Femme et le Pantin, de Pierre Louÿs) transpose, près de cinquante ans plus tard, les héros d'Un chien andalou et de L'Âge d'or, rendus impuissants par la force des interdits imposés par la société.
Lorsqu'il tourne à partir de textes antérieurs, comme Belle de jour, de Joseph Kessel ou Tristana, de Benito Perez Galdos, il fait de ces romans sans grand mystère des œuvres totalement personnelles, dans lesquelles les apparences explosent : la bourgeoise touchée par la grâce sexuelle et qui trouve, dans la maison semi-close où elle vient pratiquer chaque jour, à la fois libération et esclavage, l'orpheline recueillie par le vieillard libre-penseur qui lui apprend l'amour et la dépendance jusqu'au moment où elle renverse la situation et le laisse mourir, sont, même s'il ne les a pas inventés, deux personnages parfaitement buñuéliens – et accessoirement, deux des plus beaux rôles de Catherine Deneuve.
Peu de cinéastes sont demeurés aussi fidèles que Buñuel aux convictions de leur bel âge, peu de filmographies sont aussi cohérentes que la sienne.
Lucien Logette
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