" En 2012, Les Bruits de Recife, le premier film de Mendonça Filho, avait déjà fait entendre une voix singulière ; aujourd’hui, Aquarius déchaîne une tempête au Brésil : le ministère de la Justice a interdit le film aux moins de 18 ans au prétexte de scènes de sexe explicite et de référence au trafic de drogue. En réalité, le film est entravé car il décrit la corruption ordinaire, notamment dans le domaine de la spéculation immobilière, un secteur qui ne recule devant rien pour bétonner la façade maritime du pays. Dans cette optique, on pourrait aussi dénoncer la déforestation de l’Amazonie pour satisfaire les appétits des entreprises capitalistes. Ainsi, la première qualité du film réside dans sa capacité à décrire la situation économique d’un pays en proie à une déréglementation généralisée et d’inscrire son propos dans une histoire si prenante qu’on suit avec passion le combat d’une sexagénaire.
(…) La force d'Aquarius procède de sa capacité à conduire plusieurs récits imbriqués et diverses temporalités. Certes, il s’agit du combat d’une femme d’abord pour affronter la maladie, ensuite pour garder le lieu où elle a toujours vécu, mais il s’agit aussi de décrire le vécu d’une créature qui cherche à appréhender la vie dans tout ce quelle peut avoir à offrir à l’esprit et au corps. D’une certaine façon, Clara est une vieille femme indigne : veuve d’un mari quelle chérissait, mère et grand-mère d’enfants pas toujours respectueux - en particulier une fille qui se range du côté des promoteurs -, défendant une sexualité vivace malgré l’ablation d’un sein et le passage du temps, elle impose une personnalité hors normes, une énergie intacte.
Très attachée à la musique - toutes les musiques, du classique à la musique populaire ; sur tous les supports, du vinyle au podcast -, Clara, au-delà de sa personne, défend une sorte d’art de vivre, de plénitude de l’existence dans toutes ses dimensions et dans toutes ses composantes, dans tout ce quelle peut avoir de douloureux mais aussi de joyeux, même si la joie et le bonheur sont par nature fugaces.
Pour exprimer en images des sensations fugitives, il fallait résoudre des problèmes de lieux, de décor, d’insertion spatiale, et des problèmes de représentation des individus. Mendonça Filho adopte une position radicale : le film est entièrement tourné en décors naturels et si le miracle s’opère c’est que le cinéaste a trouvé l’Aquarius, qu’il a pu y tourner avec la complicité de ses occupants. (…) Il y a dans la splendeur plastique d’un lieu préservé comme une sorte de manifeste politique contre les bétonneurs de tous horizons. L’art exceptionnel du cadre qui caractérise la mise en scène de Mendonça Filho fait le reste, un miracle d’équilibre plastique.(…) Aquarius n’est pas un pamphlet mais un acte de résistance."
Jean A. Gili, Octobre 2016, n°668
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