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Deux Palmes d'or cannoises à quelques années d'écart, pour Rosetta en 1999, et pour L'Enfant en 2005 ! On ne peut rêver mieux. D'autant que leur succès, critique et public, s'est effectué sans qu'il y ait eu de leur part quelque concession que ce soit : de Falsch, leur premier titre (1987) au Silence de Lorna (2008), ils ont exploré le même territoire, celui des paumés et des déshérités, sans compromis ni complaisance. Sans non plus exploiter le filon de la marginalité, en devenant les spécialistes de la misère spectaculaire : leur sincérité et leur prises de position combatives n'ont pas varié, face à un monde sans joie et à une société sans merci.
Les conditions scandaleuses de l'exploitation des immigrés africains que dénonçait La Promesse (où ils firent découvrir Olivier Gourmet et Jérémie Rénier) sont encore, hélas, d'actualité, et le reste de la planète ressemble toujours à la Belgique de 1996. Est-ce à dire que leur démonstration n'a en rien servi la cause qu'ils défendaient ? Si le cinéma ne peut changer le monde, il peut au moins changer le regard que l'on porte sur lui ; et on peut imaginer que les quelques millions de spectateurs de Rosetta savent désormais que la course à l'emploi n'est pas seulement une figure de style, mais une épuisante –et souvent vaine - quête physique.
Ce courage de montrer, cette volonté de défendre les faibles et les maltraités, les frères Dardenne les avaient puisé à la meilleure source, celle d'Armand Gatti, infatigable combattant de toutes les luttes depuis cinq décennies. C'est à ses côtés qu'ils ont commencé, en l'assistant dans ses expériences théâtrales et cinématographiques, en tournant des films d'intervention militante dans les cités ouvrières de Seraing, la banlieue industrielle de Liège de leur enfance. Et c'est en conservant la rectitude de leur mentor qu'ils sont passés du documentaire à la fiction, une fiction qu'ils vont nourrir du fameux "point de vue documenté" rarement aussi justement utilisé : le garagiste négrier de La Promesse, l'adolescence éperdue de Rosetta, le menuisier responsable-et-coupable du Fils, le couple de jeunes inconscients de L'Enfant, l'immigrée albanaise prête à tout du Silence de Lorna, tous ces personnages de fiction sont lourds de toute la charge d'une société qui les conditionne et les oppresse.
Antihéros négatifs peu propices à l'empathie – aucun spectateur ne peut s'y identifier et jamais les réalisateurs ne s'attendrissent sur leurs créatures -, ils sont les témoins exemplaires d'une époque impitoyable, sur laquelle les Dardenne jettent un regard attentif et dénué d'angélisme : même la lueur d'espoir qui brille (parfois) chez Ken Loach n'éclaire pas cet univers bouché, qu'ils explorent avec une obstination qui, les temps étant ce qu'ils sont, a assurément bien peu de raisons de cesser d'être.
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