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Entrée par la petite porte de la technique, elle fait partie des cinéastes qui n'ont pas fait d'école : assistante-monteuse, puis monteuse, au cœur des années 70, de films militants et documentaires, elle parvient à tourner un court métrage de façon indépendante, Madeleine (1976).
Tout en continuant à monter les films des autres (Nicole Le Garrec, Alain Bergala, Jean-Pierre Limosin), elle signe d'autres courts à partir de 1980 (dont Tandis que j'agonise, 1980, Une journée de vacances, 1983, Scènes de ménage, 1991), reconnus dans le milieu des festivals de courts, Clermont-Ferrand et autres. Elle s'exerce déjà à pratiquer ce qui fait la particularité de sa démarche, la liaison fiction et documentaire, dans laquelle elle est passée maître(sse), sans jamais se laisser emprisonner par des présupposés théoriques : qu'elle tourne avec ses proches (800 km de différence/Romance) ou avec des vedettes (Les Bureaux de Dieu), elle parvient à créer une subtile perversion des frontières entre le réel et le jeu, construisant une œuvre sans grand équivalent dans le cinéma français – à l'exception d'Alain Cavalier.
Elle écrit, photographie, monte et réalise un premier long métrage en 1989, Les Patients, mais c'est en 1992 que Récréations retient vraiment l'attention. En filmant au long des jours de façon neutre, sans intervention aucune, la cour d'une école maternelle, elle montre combien les chères têtes blondes ont déjà des comportements de loups dans la horde et comment les rapports de violence et de force qui les régissent préfigurent ceux de la société adulte – à laquelle ils sont d'ores et déjà conformes.
Sélectionné dans une dizaine de festivals de documentaires, Récréations y fit un tabac et demeure comme un des plus aigus regards d'anthropologue jetés sur une micro-société apparemment sans problèmes.
Trois ans plus tard, en 1995, elle filme longuement le patron et les employés d'une petite entreprise niçoise qui se battent pour que leur société de livraison de plats cuisinés pour grandes surfaces tienne le coup. Jeunes et encore pleins de foi dans les vertus de l'économie marchande, on les voit peu à peu pris au piège, contraints de jeter l'éponge après six mois de combat. Dépourvu de commentaires, Coûte que coûte dresse un tableau sans complaisance de la guerre économique, et l'on finit par compatir devant les efforts d'une équipe méritante qui n'avait a priori rien pour nous intéresser. Le film récolta de multiples récompenses, au Cinéma du Réel, à Montréal et partout où il fut montré.
En deux titres, Claire Simon avait réussi à prouver la justesse de son point de vue, à la fois empathique et distancié, méthode que l'on retrouve dans son premier long métrage de fiction, Sinon, oui, en 1997. Titre énigmatique pour un argument qui ne l'est pas moins, histoire d'une femme qui, pour satisfaire ses proches, déclare être enceinte et mène cette grossesse simulée jusqu'à son terme, qui consiste à voler un enfant. L'accueil fait au film fut mitigé, les admirateurs habituels de la cinéaste étant surpris par cette incursion dans un univers inattendu.
Son essai suivant Ça, c'est vraiment toi (1999), réalisé avec les élèves-comédiens du Théâtre national de Strasbourg, cadre déjà utilisé par Pascale Ferran et Cédric Kahn les années précédentes, fut plus concluant - elle y expérimente le passage entre fiction et documentaire qui constituera ensuite l'essentiel de son œuvre. L'exercice, produit par Arte, ne connut qu'une exploitation télévisuelle et il convient de le redécouvrir.
Elle revient, avec 800 km de différence/Romance (2000), au genre documentaire pur, en filmant sa fille adolescente, parisienne, amoureuse d'un apprenti-boulanger varois et contrainte à des va-et-vient réguliers entre Nord et Sud (d'où le titre) pour vivre pleinement son amour. Histoire vécue comme extrêmement importante, dans laquelle s'abolit la différence entre les cultures, les origines, les activités de chacun. La réalisatrice parvient à poser sur sa fille un regard à la fois complice et distant et à capter les intermittences des relations du couple d'adolescents dans leur premier amour, forcément inoubliable, quelle qu'en sera la durée.
Le point de vue que Claire Simon choisit pour observer une amie proche, dans Mimi (2002) est du même ordre. À la fois confessions et mise en scène de ses souvenirs, les histoires que raconte Mimi Chiola, à qui la cinéaste sert de partenaire complice, n'ont d'intérêt que par le style et le jeu entre narrateur et filmeur, comme dans les 24 portraits de femmes tournés par Cavalier entre 1989 et 1991. Même si la protagoniste est un personnage hors norme – homosexuelle militante, refusant l'esclavage du salariat et d'une vie ordonnée, etc. -, c'est la juste distance avec laquelle elle est filmée qui nous la rend captivante, c'est parce que l'objectif de la cinéaste est un "subjectif" (même si, pour une fois, elle ne tient pas la caméra).
Pratiquant l'alternance, elle revient à la fiction, pure – mais existe-t-il une fiction pure chez elle ? Profitant des incendies qui dévorent l'arrière-pays niçois, elle imagine une relation torride entre une adolescente et le pompier qui la sauve, relation obsessionnelle de la part de la jeune Livia, alors que le pauvre Gilbert Melki ne sait comment se dépêtrer des situations dans lesquelles il est plongé. Folie de l'imagination, folie des sens qui mènent à une ultime folie pyromaniaque – le meilleur moyen pour que le pompier s'intéresse vraiment à elle. Encore une fois, la cinéaste choisit une héroïne prête à aller jusqu'au bout, comme la Magali de Sinon, oui ou sa fille Manon.
Depuis sa première fiction, elle a excellé dans les portraits de femmes singulières. Dans Les Bureaux de Dieu (2008), elle passe du simple au multiple, accumulant les personnages féminins qu'elle traite par une série de vignettes significatives. À l'intérieur d'un lieu unique, les bureaux du Planning familial, organisme historiquement primordial lorsque la contraception était un délit et qu'on pensait (faussement) désormais inutile, Claire Simon montre les médecins et les conseillères confrontées à des drames toujours actuels. Fiction et réalité demeurent mêlées : les femmes qui viennent consulter sont des vraies patientes, celles qui les accueillent sont des comédiennes. Et pas n'importe lesquelles – Anne Alvaro, Nathalie Baye, Isabelle Carré, Nicole Garcia, Béatrice Dalle, Rachida Brakni et autres, toutes disponibles pour se prêter au jeu lancé par la réalisatrice, consistant à placer ses actrices dans des situations non préparées, qu'elles devront affronter spontanément. Le résultat est étonnant, et la "vérité" obtenue troublante. Le film, présenté par la Quinzaine des réalisateurs à Cannes 2008 (l'année de la Palme pour Entre les murs, qui repose en partie sur une structure analogue), a décroché le prix SACD.
Elle a par la suite continué son exploration de la société moderne avec Gare du Nord (2013) et Le Bois dont les rêves sont faits (2016) qui, en circonscrivant les sujets filmés à un lieu donné, apportent une lumière originale et empathique sur son temps et ses contemporains.
Lucien Logette
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