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Il fut pourtant un des seuls cinéastes suédois, Ingmar Bergman étant évidemment hors concours, à atteindre la reconnaissance internationale : plusieurs fois sélectionné à Cannes, il y recueillit quelques médailles, pour Elvira Madigan (prix d'interprétation féminine 1967), Adalen 31 (Grand Prix du jury 1969), Joe Hill (Prix spécial du jury 1971), et à Berlin un prix Fipresci pour Amour 65 et un Prix spécial pour Lust och fägring stor en 1995.
Que sa filmographie soit aussi peu fournie – une douzaine de films seulement entre 1963 et 1996, mais plusieurs téléfilms dans les années quatre-vingt – ne justifie pas le relatif oubli dans lequel est tombé un réalisateur particulièrement attachant et talentueux.
Enfant d'une famille populaire, il ne passa pas par une école de cinéma, mais, après une scolarité minimale, multiplia les petits boulots dans le journalisme alimentaire, tout en s'intéressant à la littérature et au cinéma, jusqu'à réaliser en 1961, un court métrage, avec son ami Jan Troell, instituteur et photographe amateur, lui aussi futur cinéaste. Mais surtout, il écrivit en 1962 un livre, Une vision du cinéma suédois, dans lequel il attaquait le cinéma national, écrasé par la grande ombre de Bergman et incapable, selon lui, de dresser un tableau de la réalité. L'attaque devait être suffisamment brillante pour qu'un producteur lui fournisse les moyens de réaliser un film selon son cœur – "Filmez donc la vérité !" lui aurait-il dit, selon la légende.
Vraie ou non, l'anecdote illustre bien le climat du moment. La Nouvelle Vague française avait donné des idées à tous les aspirants-réalisateurs de la planète et les producteurs étaient prêts à parier sur des inconnus. En tout cas, Le Péché suédois, titre imbécile qui ne traduit pas le Barnvagnen (La Voiture d'enfant) original, premier film tourné par Widerberg, fut reçu comme le manifeste de la Nouvelle Vague scandinave : acteurs sans expérience (Thommy Berggren débutait, Inger Taube était mannequin), tournage dans la rue, sujet moderne, ton libre – ce que les Anglais du Free Cinema pratiquaient alors, ce que les jeunes Tchèques, Hongrois et Polonais allaient bientôt pratiquer.
L'essai fut réussi : il n'y a guère d'équivalents dans le cinéma français du temps, sinon chez le Jacques Rozier d'Adieu Philippine, d'une si juste adéquation d'un sujet et d'un style. Et le portrait de cette jeune fille libre, choisissant sa vie, son destin, sa sexualité, sans provocations, comme une démarche naturelle, fut considéré comme un flambeau éclairant un nouveau cours – ce n'est pas un hasard si Le Nouveau cinéma scandinave, de Jean Béranger, premier livre consacré en France au sujet, quoique tardif (1968), affichait sur sa couverture Le Péché suédois.
Le succès permit à Widerberg d'enchaîner immédiatement avec Le Quartier du corbeau (1964), encore avec Thommy Berggren, qui allait devenir son acteur fétiche, un peu comme Zbigniew Cybulski pour Wajda ou Jean-Pierre Léaud pour Truffaut. Pourtant adapté d'une pièce de théâtre, le film est parfaitement dans la ligne du précédent, dans sa description d'un adolescent de la fin des années 30, qui rêve de devenir écrivain et, comme l'héroïne de Barnvagnen, décide de tout abandonner, quartier, famille, compagne, pour réaliser son destin. Présenté en compétition officielle à Cannes, sélectionné pour les Oscars, le film fut un triomphe – à la différence des deux suivants, Amour 65 et Heja Roland (1966), mal accueillis, malgré la performance de Berggren dans le second. Les cinéastes suédois malmenés par Widerberg dans son pamphlet tenaient leur revanche. Le trouble-fête trop vite au sommet était ramené près du sol.
Mais Elvira Madigan (1967) vint remettre les choses au point. Laissant de côté le point de vue social qui caractérisait ses premiers films, il choisit de tourner une histoire d'amour fou, située à la fin du XIXe siècle, basée sur des faits réels, la rencontre d'un bel officier noble et d'une funambule de cirque.
Comme les habituels héros du cinéaste, ils rompent avec leur environnement pour s'accomplir et vont cacher leur amour dans une campagne perdue. D'un argument pour presse du cœur, Widerberg tire un film magnifique, glorification du couple et de l'amour – et même si le suicide final s'avère la seule manière de sortir de l'impasse où ils se trouvent, il ne constitue pas une défaite. Le romantisme des situations, la beauté de la lumière, le panthéisme qui s'exprime dans la captation des paysages naturels, la qualité de l'interprétation de Pia Degermark (primée à Cannes) et de T. Berggren, tout justifie le succès d'Elvira Madigan et les récompenses récoltées un peu partout.
Revisiter le passé n'empêchait pas Widerberg de s'intéresser aux luttes du présent, et il participa au film collectif The White Game, contre la venue en Suède de l'équipe de tennis sud-africaine (l'apartheid y sévissait encore). Le film est oublié des filmographies officielles (il n'eut droit en France qu'à une seule projection à la Cinémathèque), et c'est dommage, car on y retrouve parmi ses initiateurs d'autres noms pas encore célèbres, comme celui de Roy Andersson.
Après ses succès, Hollywood s'ouvrait à lui, mais Widerberg préféra demeurer au pays, pour tourner un sujet qui lui tenait à cœur, la grève déclenchée en 1931 par les ouvriers des usines de pâte à papier d'Adalen, grève réprimée dans le sang et qui eut au moins pour conséquence positive d'amener au pouvoir les sociaux-démocrates.
Mais c'est de façon non-épique qu'il traita l'événement, recréé du point de vue individuel – une famille ouvrière parmi d'autres et la vision est celle des frères, en proie aux problèmes de l'adolescence. Widerberg n'était pas du genre à cultiver le lyrisme révolutionnaire à la Eisenstein, mais était plus proche de Boris Barnet, par sa façon d'insérer ses individus dans un contexte social. La justesse avec laquelle il décrit ses personnages prolétaires, son choix de montrer le directeur de l'usine non comme un profiteur qui verse la sang du peuple mais comme un homme dépassé par l'événement (sans pour autant l'excuser : au patron qui lui reproche d'avoir tiré sur les grévistes, le militaire répond : "Mais qui paie les balles ?"), font d'Adalen 31 un grand film engagé échappant au schématisme et à l'approximation. Dans un cru cannois 1969 bien marqué par les révoltes du mai précédent (If, Z, Easy Rider), Adalen 31 tint sa place et le Grand Prix obtenu était la moindre des choses.
Deux ans plus tard, Joe Hill s'inscrit dans la même veine. En prenant pour héros le célèbre syndicaliste du début du siècle, Suédois émigré aux États-Unis, vagabond puis chanteur au service des Industrial Workers of the World, en mémoire duquel Woody Guthrie écrivit un hymne devenu fameux, Widerberg ne profitait pas d'une période propice aux sujets "de gauche", mais traitait le même thème depuis Barnvagnen : l'accomplissement personnel à travers la révolte, ici collective comme celle d'Adalen. Thommy Berggren, toujours lui, violent et mesuré, tendre et emporté, réincarnait Joe Hill aussi justement que David Carradine réincarnera Guthrie cinq ans plus tard (En route pour la gloire, Hal Ashby). Le jury de Cannes n'accorda au film que son Prix spécial – il faut dire que 1971 était l'année de Mort à Venise et du Messager…
Après un intermède dans le film pour enfants, Tom Foot (1974), jolie histoire d'un gamin de 6 ans passionné de football, Widerberg adapta un roman de Sjöwall & Walhoo, les deux remarquables duettistes du polar suédois, alors au sommet de leur popularité.
Premier film de genre pour lui, Un flic sur le toit (1976) est une réussite, sans doute un des meilleurs films d'action suédois, à la fois spectaculaire et intime, que les trente-cinq années écoulées – et les progrès techniques dans la mise en scène de la violence – n'ont pas fait vieillir, et Carl-Gustaf Lindstedt y est aussi crédible en inspecteur Beck que Walter Matthau dans la première adaptation hollywoodienne d'un roman de Sjöwall & Walhoo, Le Flic ricanant (Stuart Rosenberg, 1973). C'est assurément le dernier grand film proposé par Bo Widerberg.
On ne connaît que peu de son œuvre postérieure (aucun de ses téléfilms ne nous est parvenu) et parmi les cinq longs métrages réalisés entre 1979 et 1995, le seul qui soit arrivé sur les écrans français, Le Chemin du serpent (1986), ne vaut pas la peine que l'on s'y attarde, tant la distance avec le cinéaste du Quartier du corbeau ou de Joe Hill est grande. On aimerait cependant découvrir son ultime Lust och fägring stor (1995), à cause des récompenses récoltées entre Berlin, Stockholm et Rouen, qui permettrait de voir sous un nouveau jour la fin d'une carrière si brillamment entamée.
Lucien Logette
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