" Ses deux héros sont des chrétiens. Des justes qui découvrent l'injustifiable et tentent de s'y opposer en avertissant des gens qui, par opportunisme ou par diplomatie (mais les deux se confondent souvent), font semblant de ne pas les entendre.
L'un est inventé. Un amalgame de plusieurs prêtres et évêques qui ont résisté. Mathieu Kassovitz interprète Riccardo Fontana, un jésuite dont le père est proche du pape Pie XII et qui a été nommé près du nonce de Berlin (...) Il joue cet être pur, torturé par sa conscience et sa confiance déçue, comme s'il était illuminé de l'intérieur. C'est l'Idiot de Dostoïevski au pays des nazis. Le Stalker de Tarkovski, dont les illusions se perdaient devant les hésitations des autres. Il est splendide.
Face à lui, un homme qui a existé, Kurt Gerstein, interprété par un comédien allemand peu connu, chez nous, mais remarquable : Ulrich Tukur. C'est l'incroyable et tragique destin d'un protestant, fier de sa foi, qui rejoint les Waffen SS en 1941. Pour, dira-t-il, « observer le foyer du Mal ». Il monte en grade, devient un spécialiste de l'hygiène, chargé d'éradiquer les épidémies dans l'armée allemande. Le typhus, notamment. Il y réussit parfaitement, sans se douter que le gaz zyklon B, qu'il fournit à satiété, sert, dans des camps de concentration, à l'élimination programmée et massive des juifs. Lorsqu'il le découvre, il est anéanti.
Costa-Gavras (...) filme sans montrer l'horreur, l'horreur qui se lit dans les yeux de Gerstein, en découvrant par un oeilleton ce que l'on fait subir à d'autres humains, qu'en chrétien il considère comme ses frères. Que faire, alors ? (...) Amen, inspiré du Vicaire, la pièce de Rolf Hochhuth créée dans les années 60, est un film de rendez-vous retardés, manqués. Un film sur le temps perdu. Tandis que, sans cesse, des trains passent, wagons fermés à l'aller, wagons ouverts au retour. Répétitifs. Opiniâtres. Entêtants. Obsédants. Des trains qui emportent vers la mort des vies invisibles. Alors que les puissants du monde se taisent et oublient.
Le film pose, ce que faisait déjà la pièce, le rôle de Pie XII durant l'Holocauste. Mais il rend aussi hommage à ceux qui ont osé se révolter. C'est un pamphlet que certains trouveront appuyé, mais n'est-ce pas le rôle de tous les pamphlets contre la lâcheté. Des politiques au nom de la politique. Des membres du clergé au nom de leur foi. Ce que pourfend Costa-Gavras, c'est ce que l'Eglise luthérienne d'Allemagne a appelé (mais en 2000 !) « le silence et l'abandon ». Et ce que Jean-Paul II (en 1999, il était temps !) a qualifié de fautes commises « par faiblesse ou par erreur d'appréciation, pour tout ce qui a été fait ou dit de manière indécise et inappropriée ».
Personne n'oserait comparer l'Holocauste aux massacres qui se sont déroulés depuis. Sauf que, comme dit Costa-Gavras : « L'indifférence est toujours là, elle n'a pas commencé au moment des camps, elle ne s'est pas arrêtée à la fin de la guerre. Les Etats se sont habitués aux monstres. Et nous aussi. Regardons, par exemple, l'indifférence avec laquelle nous laissons mourir le continent africain. Notre passivité est un crime. »
Pierre Murat
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