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Né le 2 mai 1936 à Changsong (Corée), il n'est pas le réalisateur le plus prolifique de l'histoire du cinéma, Allan Dwan ou Michael Curtiz ayant tourné plus de longs métrages que lui. Mais parmi les cinéastes encore en activité, Im Kwon-taek est le seul à avoir dépassé la centaine de titres, ainsi qu'il peut s'en prévaloir depuis 2007 – et il a signé en 2011 son cent-unième film.
Il refuse de reconnaître comme siens tous les films qu'il a tournés avant 1980, au point qu'il est extrêmement difficile de les voir afin de vérifier s'ils méritent d'être oubliés. Il a certes beaucoup ralenti son rythme ces dernières années – cinq films depuis le début du siècle (il en avait réalisé huit au cours de la seule année 1970) -, mais demeure le porte-drapeau de la période classique du cinéma coréen, qu'il a été le premier à faire reconnaître internationalement : Le Chant de la fidèle Chunhyang est le premier film sud-coréen présenté en compétition officielle à Cannes.
Il entre en cinéma à 21 ans, comme assistant du cinéaste Chung Chang-hwa, qui lui facilite l'accès à la réalisation en 1962, où il signe Adieu à la rivière Duman, traduction libre de Dumangany a jal iskova (le problème de la transposition des titres originaux se pose constamment pour la cinématographie coréenne : le premier film d'Im présenté en France étant La Chanteuse de pansori, en 1995, les titres français de tous les films qui l'ont précédé ne peuvent faire l'objet que d'une traduction approximative).
Le succès obtenu lui permet d'enchaîner immédiatement, et il tourne sans discontinuer - cinq ans après ses débuts, il termine son vingt-et-unième film -, abordant tous les genres, films de guerre, mélodrames, comédies, films historiques, drames sociaux, avec la même aisance à satisfaire les producteurs et la même réussite commerciale. Au bout de deux décennies, il finit par considérer que le box-office n'est pas l'essentiel et tourne un film selon son cœur, Mandala, en 1981, inaugurant une nouvelle phase, animée, selon lui (même si ce n'est pas toujours le cas), par le seul souci artistique. Il affirme alors avoir signé son premier vrai film, rejetant les 76 tournés depuis 1962.
Lors de la rétrospective (partielle) organisée par la Cinémathèque française en 2001, les quelques titres antérieurs montrés ont prouvé qu'ils étaient d'un niveau tout à fait convenable. Aucune raison de rejeter dans les ténèbres Généalogie (1978), Le Héros caché (1979) ou Tchakko (1980), bien meilleurs que certains réalisés ensuite, comme les trois volets de la série Le Fils du général (1990 à 1992). S'y manifestent déjà l'ampleur des perspectives, la description précise des conditions sociales, le lyrisme qui feront le prix des grands films qui suivront Mandala, tels Le Village des brumes (1982) ou La Fille du feu (1983).
Dans Gilsoddum (1985), il aborde pour la première fois un sujet "politique" – le gouvernement des militaires commençait à vaciller et la censure devenait moins prégnante -, celui de la partition des deux Corée, traité sous l'aspect du drame personnel des retrouvailles de familles écartelées, et il y trace un magnifique portrait de mère désespérée.
Les deux films importants qu'il tourne ensuite, dans lesquels il reprend brillamment les codes du mélodrame, montrent également des figures de femmes remarquables, qu'il s'agisse des prostituées du Ticket (1985) ou de la jeune fille récupérée par une famille noble du XVIIIe siècle pour engendrer un héritier mâle dans La Mère porteuse (1986).
Comme ses compatriotes Lee Doo-yong ou Kim Ki-young, Im peut passer du drame historique au drame contemporain avec facilité. Ainsi, sa Chronique du roi Yonsan (1987) n'est pas indigne du superbe diptyque (Le Prince Yonsan et Yonsan le tyran) réalisé par Shin Sang-ok vingt-six ans plus tôt : il y récupère la mythologie littéraire coréenne de façon aussi naturelle et convaincante qu'il traite les religieuses persécutées de Viens plus haut, encore plus haut (1989), avec pudeur et lyrisme. Les mêmes pudeur et lyrisme qu'il va sublimer dans La Chanteuse de pansori (1993), phénoménal succès, en Corée, où il écrase au box-office tous les films hollywoodiens, et ailleurs, où il va faire découvrir le pansori, chant traditionnel en déclin, et affirmer la stature de cinéaste international de son réalisateur.
Le cinéma coréen n'était pas totalement inconnu en France, mais les quelques titres distribués l'avaient été de façon aléatoire et confidentielle. Le succès critique et public de La Chanteuse de pansori ouvrit le chemin à une meilleure connaissance d'une cinématographie encore peu fréquentée : c'est après 1995 que l'intérêt à son égard s'éveilla, et que les nouveaux cinéastes nationaux, Lee Chang-dong, Hong Sang-soo, Park Chan-wook, Kim Ki-duk, Im Sang-soo, trouvèrent accueil dans les festivals et sur les écrans.
Le Chant de la fidèle Chunhyang (2000) ne constitue pas un coup monté pour profiter de l'aura de La Chanteuse. Entre temps, Im avait tourné Les Monts Taebaek (1994), Festival (1996) et Chang (1997), retour à une inspiration contemporaine – le second permet une passionnante découverte des rites funéraires coréens -, mais aucun des trois ne trouva d'écrans pour les accueillir.
Bien que revenu bredouille de Cannes, Chunhyang connut une sortie immédiate – dix ans plus tôt, un sujet aussi apparemment austère, la représentation immobile d'un opéra traditionnel, aurait détourné les distributeurs les plus hardis… La subtilité avec laquelle Im joue sur les différents plans narratifs, la beauté du pansori, le va-et-vient entre la scène, sa chanteuse, son percutionniste et le commentateur, et la salle où le public vibre aux tribulations dramatiques de la fidèle héroïne, tout concourt à faire du film une très grande œuvre.
On oserait dire le chef-d'œuvre de son auteur s'il n'avait tourné ensuite Ivre de femme et de peinture (2002), Prix de la mise en scène à Cannes 2002. S'attaquant à une figure historique du XIXe siècle, le peintre Ohwon, Im échappe aux règles de la biographie classique, multipliant les ellipses, privilégiant les temps morts, évitant les clichés sur l'artiste maudit ; le titre français est juste : Ohwon est alcoolique, érotomane et fou de peintures. Et le film, d'une beauté enfiévrée étourdissante, atteint des sommets que n'égaleront ni La Pègre (2004), incursion cependant réussie dans le film de gangsters, récréation dans une perspective sociale et politique du "milieu" des années 50 et 60, ni Souvenir (2007), nouvelle adaptation du roman de Lee Chung-joon La Chanteuse de pansori, et qui n'ajoute rien à la précédente. Fatigue ou panne d'inspiration ? Dal-bit gil-eo-li-gi, opus 101, nous le dira peut-être, s'il nous parvient.
Sur les plateaux depuis cinquante ans, Im Kwon-taek représente assurément une période classique du cinéma coréen ; on peut aujourd'hui être plus attiré par les fulgurances de Park Chan-wook (Old Boy) ou la maturité de Lee Chang-dong (Poetry). Il n'empêche : il n'a peut-être pas fini de nous étonner – et nous lui devons d'avoir découvert et aimé le pansori, ce qui n'est pas rien.
Lucien Logette
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