" Après Les Petites marguerites, voici un nouveau joyau de celle qui est la plus raffinée et la plus subtile des cinéastes tchécoslovaques. Somptueux, fascinant mais sibyllin, le film ne se laisse ni pénétrer ni digérer facilement. Le mieux est donc de le prendre d’abord pour ce qu’il est au premier degré : une féerie merveilleuse qui s'adresse avant tout à la sensibilité et ne peut qu’enchanter par sa splendeur plastique et musicale.
Naturellement, tout comme Les Petites marguerites, il s’agit d’une fable contemporaine dont il faut décrypter le message. Adam et Eve (ou plus exactement Eve et Joseph) confrontés à la recherche de la vérité après la perte de l’innocence originelle, c’est, de toute évidence, les fcommes en butte à l'agression des événements et, s'il faut tout dire, la réalisatrice et ses compatriotes mis devant le fait accompli des péripéties historiques de l’été 1908 en Tchécoslovaquie. II serait vain et absurde de tenter de trouver une analogie, scène par scène, entre le film et le contexte politique : il est cependant certain que la seule clé possible est celle-là, encore que Vera Chytilova se soit refusée à tout commentaire lors de la présentation du film l’an dernier à Cannes.
Il est des réalités douloureuses qui traumatisent ceux qui s*y frottent. C'est pourquoi Eve crie à son mari : « Ne recherche pas la vérité ! » Elle est parfois trop cruelle en effet. Ce cri n'est pas du nihilisme ni de l’agnosticisme : c’est la manifestation d’un profond désarroi moral. Le diabolique Robert l’avait initiée au dangereux domaine de la connaissance : elle le tue puis se réfugie auprès de son mari, symbole de la confiance aveugle. Les fruits du paradis est d’une consommation périlleuse.
Alors, je le répète, autant s'abandonner a l'enchantement du film pour jouir pleinement de la beauté des images de Jaroslav Kucera. de la musique de Zdenek Liska et des costumes d’Ester Krumbachova. Fidèle à son style, Chytilova mêle constamment l’animation aux prises de vues normales, les truquages au réalisme. Le résultat : un morceau de choix pour les gourmets optiques."
Marcel Martin, 19/05/1971