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C'est sans doute le cinéaste champion du monde de la régularité : entre 1969 et 2010, 41 ans et 41 films – si l'on met de côté son galop d'essai, Lily la Tigresse (1966), simple détournement des dialogues et du montage d'un film japonais sans renom. Partageant équitablement son activité entre l'écriture d'un scénario et son tournage, il assure ponctuellement la sortie du "Woody Allen de l'année". La fraîcheur et l'invention ne sont plus systématiquement au rendez-vous, comme elles le furent des décennies durant, mais on souhaiterait que tous les films d'"auteurs", américains ou autres, atteignent le niveau de ses titres les plus moyens. Si l'élément de surprise ne joue plus, la connivence demeure intacte : on est, devant chaque nouveau titre, en pays de re-connaissance, et, en dernier recours, le public ne s'y trompe pas, qui lui offre fidèlement un accueil complice.
Il a déjà presque 35 ans lorsqu'il signe sa première réalisation, Prends l'oseille et tire-toi (1969), reprenant le personnage et le style qui l'ont rendu célèbre, au moins dans le milieu des cabarets et des shows télévisés : le comique juif new-yorkais, virtuose de la jonglerie verbale et de l'incongruité, nevrosé, maladroit, implacablement raisonneur. Le succès est immédiat, que confirmeront Bananas (1971), Woody et les robots (1973) et surtout Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander (1972), série de sketches délirants sur l'obsession érotique, à l'outrance parfaitement assumée. Mais avant d'être catalogué dans un genre rigolard un peu étroit, il change de dimension et inaugure avec Annie Hall (1977, quatre Oscars) une période beaucoup plus "sérieuse", dans laquelle, sans renoncer à ses vertus purement comiques et à la mise à distance constante de son personnage par auto-analyse, il va aborder des thèmes plus larges – l'amour moderne et les difficultés du couple, les rapports existentiels, la famille et le passé revisité avec une nostalgie amusée - où va se donner libre cours son admiration pour Ingmar Bergman.
En quinze ans, jusqu'à Ombres et brouillard (1992), hommage inattendu au cinéma expressionniste allemand, il va aligner les chefs-d'œuvre, Annie Hall, Intérieurs, Manhattan, La Rose pourpre du Caire, Hannah et ses sœurs, et les très grands films, Stardust Memories, September, Une autre femme, Alice, renouvelant à chaque fois l'approche de ses personnages et offrant à ses actrices (souvent ses compagnes, comme Diane Keaton ou Mia Farrow) des rôles inoubliables. Entre Comédie érotique d'une nuit d'été, clin d'œil à Shakespeare et à Bergman et Broadway Danny Rose, recréation nostalgique du petit monde des petits acteurs de cabarets, il intercale même un intermède en forme de divertissement, Zelig (1983), étincelante apothéose du héros anonyme (il en est le parfait interprète) mêlé à tous les événements historiques du siècle.
En 1995, après Coups de feu à Broadway, il est à son sommet, artistique et critique : son nom est devenu une griffe et le public, conquis, est prêt à accueillir avec ferveur tout ce qui sera signé Woody Allen. Problèmes délicats de vie privée (il se sépare de Mia Farrow et épouse sa fille adoptive), désir de trouver d'autres terrains après avoir exploré tout ce qu'il lui était possible de faire ? En tout cas, la réussite ne viendra plus à chaque rencontre. Certes, il peut encore réaliser des films touchés par la grâce, comme Tout le monde dit 'I love you' (1996), comédie musicale dans laquelle passent des élans dignes de l'âge d'or, ou Accords et désaccords (1999), très jolie réinvention de Django Reinhardt sous les traits de Sean Penn, où son amour du jazz (il est lui-même clarinettiste et fait parfois des tournées avec un orchestre) trouve à s'exercer pleinement.
Mais Harry dans tous ses états (1997), Celebrity (1998), Escrocs mais pas trop (2000), Le Sortilège du scorpion de jade (2001), qui marquent pourtant une volonté de sortir des limites de son univers – tout au moins de celui auquel on l'identifie -, donnent une impression de piétinement. Même son originale tentative de renouvellement, Melinda et Melinda (2004), jouant une partition successivement tragique et comique, décontenance les spectateurs. Juste avant que l'on se mette à parler de lui au passé, son installation en Angleterre ouvre une période neuve : Match Point (2005), variation noire et cynique sur l'arrivisme, avec une éblouissante Scarlet Johansson, le ramène au premier plan, un premier plan qu'il ne quittera plus jusqu'à son récent Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (2010), dont la maîtrise narrative et la direction d'acteurs sans failles permet d'oublier les quelques facilités de son scénario.
Entre temps, Scoop (2006) et surtout Vicky Christina Barcelona (2009), portrait de jeunes femmes qui renoue avec le meilleur de son inspiration des années 80, sont venus rappeler que l'âge n'avait que peu d'importance pour un véritable auteur – ce qu'a confirmé Midnight in Paris, choisi pour faire l'ouverture du Festival de Cannes 2011.
Lucien Logette
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