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Comme Scorsese, Kitano a vécu dans les quartiers mafieux, mais, à la différence du cinéaste américain il en déconstruit la mythologie. Pour lui, si parfois les yakuzas ont belle allure, en revanche, leur manque de culture et d'éducation entraine des frustrations, qui les conduisent à la violence. Ses très bons résultats scolaires et la forte personnalité de sa mère vont lui permettre de ne pas rentrer dans un clan. Son oeuvre de cinéaste sera pourtant marquée par leur influence. Takeshi Kitano, reviendra sur cette enfance particulière dans Kid Returns (titre provenant d'un de ses poèmes).
A la fin de son adolescence, Takeshi Kitano est embauché dans une boîte de strip-tease. Il y rencontre Kiyoshi Kaneko avec qui il montera un manzaï, c'est-à-dire un duo comique absurde et irrévérencieux. Le succès aidant les deux compères adaptent leurs sketchs pour la télévision. Après la séparation des "Two Beat'", le surnom Beat Takeshi restera attaché à l'acteur Kitano devant la caméra du réalisateur Takeshi Kitano. Seul à bord, il devient une star du jeu télévisé à l'humour cruel, "Takeshi's Castle". Pour le feuilleton, The Gundan, Kitano constituera une équipe d'acteurs comiques qu'il reprendra dans ses futurs longs-métrages.
Courtisé par le monde du cinéma, il s'y refusera pendant un temps puis cédera devant l'insistance de Nagisa Oshima qui lui propose son premier grand rôle, le sergent Hara, dans Furyo. L'interprétation complexe qu'en donne Beat Takeshi va impressionner la Shochiku (société de production) qui lui demandera d'interpréter le rôle d'un policier brutal dans Violent Cop. Le réalisateur Kinji Fukazaku démissionne avant le début du tournage, et les producteurs pressent Kitano d'assurer le remplacement. Il s'approprie le film et transforme ce qui devait être une version nippone de l'Inspecteur Harry (Don Siegel), en un film coup de poing.
Il se sert dès ce premier film d'un langage cinématographique singulier où le montage acéré sert de contrepoint aux plans-séquences particulièrement épurés. Par cette mise en scène, Kitano amplifie le caractère choquant de la violence. C'est l'occasion d'une seconde naissance pour Beat Takeshi qui devient un homme au corps massif surmonté d'un faciès-masque (accentué par sa paralysie faciale depuis son accident de moto en 1994) dont l'humour apparait sous son jour le plus sombre. Violent Cop marque également sa première collaboration avec son acteur fétiche, Susumu Terajima.
Ce premier film frustre Kitano, insatisfait du scénario. Dès Boiling Point, il signera ses scénarios. Il montre un peu plus encore son talent pour l'absurde avec Jugatzu. Scene At The Sea marque les débuts de sa collaboration avec le compositeur d'Hayao Miyazaki (Porco Rosso), Joe Hisaishi, et met en lumière ses ambitions expérimentales : c'est un film quasiment muet. La reconnaissance internationale vient avec son premier chef d'oeuvre : Sonatine. Il s'agit du portrait poétique et violent d'un clan de yakuzas accompagnant leur chef (Beat Takeshi) condamné à une mort certaine. Oeuvre picturale stupéfiante, le film s'inspire de ses propres peintures. En terme de mise en scène, il dynamite la linéarité de l'action et cite autant Akira Kurosawa que Jacques Tati.
Beat Takeshi laisse transparaitre sous la figure du mafieux l'influence majeure, que l'on notera de film en film, de Buster Keaton. Kitano érige un système de direction d'acteurs s'inspirant du Bunraku (théâtre de marionnettes). Entre ses mains, les acteurs sont des pantins, ils ne bougent que lorsqu'ils sont manipulés. (Dolls réalisé en 2002 est un hommage adapté d'un classique du Bunraku). Sonatine recevra le Prix de la Critique au Festival de Cognac en 1994.
Getting Any ? donne une nouvelle tournure à la carrière de Kitano. A partir de cette comédie, il alternera réflexion sur l'art cinématographique et films de Yakuzas à la facture plus classique. Burlesque et surréaliste, road movie sexué, Getting Any ?, est un voyage dans la carrière des deux Kitano. La dualité hante une nouvelle fois son oeuvre et à Getting Any? répond Takeshi's. Dans ce dernier film, il y assume sa schizophrénie, sa boulimie créatrice et son angoisse de la mort. Bien qu'incompris lors de sa sortie Takeshi's fait partie des films sur l'acte de création (8 1/2 de Fellini, Rêves de Kurosawa) dans lesquels le spectateur est invité à se laisser bercer par le rythme des images. Takeshi's est une oeuvre somme, imposante et sérieuse.
Entre Getting Any et Takeshi's les films de Kitano deviennent des références (Jackie Brown, Quentin Tarantino). Beat Takeshi sera courtisé par Hollywood (Johnny Mnemonic de Robert Longo) et le cinéma français (Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin également réalisateur d'un documentaire sur Kitano). Dix ans après Violent Cop, Kinji Fukazaku dirige enfin Beat Takeshi pour son ultime chef d'oeuvre : Battle Royale. Assumant son statut de seinsei (maitre), Kitano s'associe au producteur anglais Jeremy Thomas, pour réaliser son film de yakuzas le plus théorique : Aniki (mon frère). Le film qui se déroule à Los Angeles est une réponse aux films d'action américains dans lesquels la violence est un divertissement.
Les années 90 sont assurément la période faste du cinéma de Takeshi Kitano. Il reçoit pour Hana-Bi un Lion d'Or à la Mostra de Venise. Ce film s'éloigne de l'univers de la mafia japonaise pour s'intéresser au dernier voyage d'un couple dont la femme (Kayoko Kishimoto, actrice fétiche de Kitano) est condamnée par le cancer. C'est un film particulièrement subtil et émouvant dans lequel Kitano ne cherche pas à tirer les larmes du spectateur. Il touche un public plus familial avec l'Eté de Kukujiro et ravit le poste de réalisateur à Takashi Miike pour une énième adaptation des aventures de Zaitochi, un classique de la mythologie moyenâgeuse japonaise.
En 2007, Takeshi Kitano brouille les frontières entre fiction et réalité avec Glory To The Filmmaker, une réflexion amusée sur son cinéma et l'importance de la place du réalisateur dans l'acte de création. Ayant peur de tourner en rond, il aborde cette angoisse avec Achille et la Tortue et l'assume ensuite en livrant un nouveau film de yakuzas, Outrage, dans lequel il montre les liens entre l'Etat japonais, les yakuzas et les diplomates africains dans les trafics illégaux, mais sans rien apporter de nouveau à son art.
Gaël Martin
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