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Après trois courts-métrages dont l’un fut censuré pour impudicité, Rossellini travaille comme scénariste et co-écrit le fasciste Luciano Serra, pilota avec le réalisateur Goffredo Alessandrini, premier mari d’Anna Magnani. Le film obtient la Coupe Mussolini à la Mostra de Venise en 1938 pour le meilleur film italien. La même année, Léni Riefenstahl reçoit la Coupe pour le meilleur film étranger avec Les Dieux du stade. En ces temps troubles, l’amitié de Rossellini avec le fils de Mussolini, Vittorio, alors chargé du cinéma sur tout le territoire italien, lui vaut des passe-droit et quelques facilités à réaliser ses premiers long-métrages. Pendant que ses confrères le jalousent, Roberto Rossellini tourne trois premiers longs-métrages : Le Navire blanc (La Nave bianca) en 1941, Un pilote revient (Un pilota ritorna) en 1942 et L’Homme à la croix (L'Uomo dalla croce) en 1943. Trois films, très marqués par l’idéologie dominante du moment.
La période voit naître l’amitié de Rossellini avec Federico Fellini qui participe à l’écriture de Rome ville ouverte. Le film, quasiment auto-produit, est tourné en 1945, sort dans les salles italiennes en septembre de la même année et obtient en 1946 un grand prix à Cannes. Virage idéologique pour son auteur et quasi-manifeste esthétique, Rome ville ouverte met en scène le démantèlement d’un réseau de résistants par la Gestapo. Il y est question de trahison, de patriotisme, d’amitié et de fidélité à la cause et aux hommes. Presqu’autant que le fond, la forme est frappante. Cinecittà est un tas de gravats et le cinéma italien entame alors une période de rigueur : il faut faire avec ce qu’il y a de pellicule, sortir tourner en plein air et avec les moyens du bord. Ces contraintes dictent les principes esthétiques de ce que l'on nomma le "Néo-réalisme".
Au bon endroit au bon moment, Rossellini en devient l’un des maîtres. Les visages présents à l’image ne sont pour la plupart pas ceux d’acteurs. Rossellini renoue avec le bonheur premier, celui des frères Lumières, d’être par le cinématographe à la fois un témoin et un informateur de l’époque. Alors que la tendance générale du cinéma populaire italien, dans le sillage d'Hollywood, avait toujours été d’affiner les mécanismes narratifs de la fiction, Rossellini fait retrouver à ses opérateurs des réflexes de reporters. Documentaire et fiction se retrouvent comme, à un enterrement, deux vieux oncles qui ne se parlaient plus.
Les films qui suivent, Païsa (1946) et Allemagne année zéro (1948) sont tournés selon le même mode. Avec Rome ville ouverte, ils constituent une trilogie de guerre, photographie, côté perdants, d’une Europe meurtrie. C’est à ce moment qu’Ingrid Bergman entre dans la vie du cinéaste. La comédienne, alors au faîte de sa gloire Hollywoodienne lui écrit ceci : “Si vous avez besoin d'une actrice suédoise qui parle très bien anglais, qui n'a pas oublié son allemand, qui n'est pas très compréhensible en français, et qui en italien ne sait dire que « ti amo», alors je suis prête à venir faire un film avec vous.” Le cinéaste tombe sous le charme et dès 1950 la star tient le premier rôle dans Stromboli. L’histoire d’une réfugiée lituanienne qui épouse, par dépit, un pêcheur italien de l’île volcanique de Stromboli : la jeune femme s’est vue refuser l’asile en Argentine et cette union est le seul moyen pour l’exilée qu’elle est de continuer à vivre décemment. Elle sait pourtant, que la vie en autarcie sur cette île va lui paraître un enfer. Le tournage est chamboulé par une irruption volcanique qui va finalement bien au cinéaste. Rossellini ne ménage pas son actrice qu’il épuise et chausse trop petit, dit la légende, afin que se lise sur ses traits et dans ce port qu’elle avait toujours eu altier la détresse d’une femme seule au monde. A la fin du film, enceinte, elle se tourne vers Dieu, seul espoir dans l’adversité des hommes et des éléments.
Lorsque sort le film, on reproche d’un côté à Rossellini de céder aux sirènes d’Hollywood, de l’autre, à Ingrid Bergman de participer aux expérimentations d’un Européen dégénéré. Pour Eric Rohmer, chef de la future troupe des Cahiers du Cinéma, le film est un choc qu’il n’hésite pas à comparer à la révélation de Paul sur le chemin de Damas. A sa suite, Bazin, Rivette, Truffaut et Godard deviennent les principaux théoriciens de ce Nouveau-réalisme né un peu malgré lui et, en bons disciples, font de ses méthodes un quasi-dogme. La foi dans le réel devient le leit-motiv des Cahiers du Cinéma et la Nouvelle Vague portera dans des mesures variables cette marque jusqu’aux derniers films de Godard.
Suivent les Onze Fioretti de François d’Assise (1950) puis La Machine à tuer les méchants (1952) et Les Sept Péchés capitaux, film collectif à sketches dans lequel Rossellini se penche sur L’Envie.
En 1953 sort Europe 51 et en 1954 Voyage en Italie. Si l’on excepte le film à sketches Nous les femmes (1953), dans lequel le cinéaste consacre un court-métrage à la comédienne, ces deux films sont les deux derniers où apparaît Ingrid Bergman chez Rossellini. Voyage en Italie raconte l’excursion dans la région de Naples d’un couple d’Américains usé par les années et les non-dits. La femme, délaissée, erre entre l’antre de la Pythie, le musée des antiquités et les ruines de Pompéï. Bouleversant memento mori amoureux. A la fin du film Ingrid Bergman est emportée par une procession à son corps défendant, les vieux amants craignent soudain de se perdre à jamais, l’ombre du chef opérateur flotte sur la foule, un miracle a lieu, leur amour renaît. Le film marque durablement le cinéma moderne. Godard en reprendra certains motifs lorsqu’il adaptera Moravia dans Le Mépris, dix ans plus tard.
L’année 1954, Rossellini tourne encore Où est la liberté ?, La Peur, Jeanne au bûcher et Napoli 43, l’un des courts-métrages figurant dans Amore di mezzo secolo. A cette année faste succèdent trois années de jachère à l’issue desquelles le cinéaste tourne Inde, Mère Patrie à la suite d’un long voyage dans le pays. L'autre conséquence de l'excursion est le divorce d’Ingrid Bergman et Roberto Rossellini. Le cinéaste est désormais le compagnon de la scénariste indienne Sonali Das Gupta.
Rossellini tourne encore quelques films “traditionnels” : en 1959, c'est Le Général della Rovere, en 1960 Les Evadés de la nuit, en 1961 Vive l’Italie et Vanina, Vanini, en 1962 Âme Noire, en 1963 Ro.Go.Pag (film collectif auquel participent aussi Godard et Pasolini). Mais c’est désormais la télévision qui intéresse le cinéaste. Il y voit une manière privilégiée de transmettre et d’informer.
Entre 1959 et 1977, il réalise ainsi 19 films aux sujets variés. On y trouve des portraits historiques à contre-courant : La Prise de pouvoir par Louis XIV (1967), Socrate (1970) Blaise Pascal (1971), des voyages : L’Inde vue par Rossellini (1959), L’Idée d’une île (1967), ou des films en prise directe avec l’actualité du monde : Entretien avec Salvador Allende : La Force et la raison (1971), La Population mondiale (1974). Rossellini se fait durant ces années un observateur attentif du monde comme il va. L’informateur acharné qu’il est devenu renforce le Néo-réaliste de circonstance qu’il avait d’abord été et on ne peut alors plus douter de l’intérêt sincère du cinéaste pour le monde qui l’entoure. Lorsqu’il meurt, en 1977, il vient d’achever son dernier documentaire, Beaubourg, Centre d’art et de culture.
Pierre Crézé
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