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Comme son compère Paul Newman, qui l'avait précédé dès 1968 en signant Rachel Rachel, Robert Redford, tout en continuant à faire l'acteur, se lance dans la réalisation en 1980, une activité qu'il pratiquera ensuite de façon professionnelle, à la différence des autres acteurs hollywoodiens, Robert Duvall, Sean Penn, Tim Robbins, qui ont également tenté l'expérience mais se sont limités à quelques titres.
Pour ce premier essai, l'acteur (qui ne joue pas dans son film) tape juste : Ordinary People, en France Des gens comme les autres, subtile description d'une famille américaine plongée dans le drame et d'un adolescent dépressif, décroche quatre Oscars, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur (et celui du meilleur second rôle pour Timothy Hutton, 19 ans), une rareté pour un cinéaste débutant.
Malgré le succès, Redford ne reviendra derrière la caméra que huit ans plus tard (après avoir interprété quelques perles, Out of Africa (S. Pollack, 1985) et L'Affaire Chelsea Deardon, d'Ivan Reitman, 1986), en changeant totalement de manière, passant de la peinture d'un groupe familial à celle d'une communauté tout entière : Milagro, qui oppose la population paysanne d'un village mexicain à un promoteur qui veut y construire un parc d'attractions, est une comédie chorale, à laquelle il parvient à donner une dimension grinçante et critique.
Tout en reconnaissant l'aisance avec laquelle Redford avait réussi son drame psychologique puis sa chronique sociale, on ne pouvait imaginer qu'il traduirait à l'écran avec autant de talent le superbe roman contemplatif de Norman Mac Lean La Rivière du sixième jour. Tourné au cœur du Montana, Et au milieu coule une rivière (1992) atteint la hauteur où se situe le livre, et cette célébration de la pêche à la mouche trouva un public, bien au-delà des seuls amateurs de taquinage de truites, fasciné par la beauté du paysage (Oscar de la photographie pour Philippe Rousselot) et le lyrisme apaisé de la narration.
Redford, chantre de la Nature – il s'installe alors dans l'Utah, tout près du festival de Sundance dont il deviendra président -, dans un retour à l'inspiration nationale qui a produit, en littérature, Thoreau et Whitman ? Au contraire, il tourne presque immédiatement Quiz Show (1994), recréation d'un fameux jeu de la télévision des années 50 et de ses magouilles, semblant ainsi prendre plaisir à multiplier les masques : quel auteur se dissimule derrière quatre films aussi différents ?
Le film suivant offre une réponse : Redford, dans la grande tradition américaine, se veut avant tout un raconteur d'histoires. Rien ne rapproche apparemment Quiz Show et L'Homme qui murmurait à l'oreille des chevaux (1998), sinon le goût du story-telling, du scénario bien construit et des acteurs dirigés au millimètre.
Pour la première fois, il joue dans un film qu'il réalise et sa performance de "horse whisperer", sexagénaire séduisant redonnant confiance à une adolescente traumatisée (Scarlett Johansson, que l'on ne connaissait guère alors), est une de ses meilleures de l'ultime décennie du siècle. Ce plaisir de la narration, on le retrouve dans La Légende de Bagger Vance, qu'il tourne en 2000 : plaisir de la reconstitution de la Géorgie des années 30, plaisir d'offrir à Matt Damon, Will Smith et Charlize Theron des prestations mémorables, même si l'on n'est pas familier du monde des golfeurs (ce qui explique peut-être le faible succès du film en France).
Bien qu'il marque ses retrouvailles, vingt-deux ans après leur expérience africaine, avec Meryl Streep, Lions et Agneaux (2007) ne trouva pas le même accueil auprès du public – surtout aux États-Unis, où le film fut un échec.
Un échec comme la plupart des films de guerre, lorsqu'ils cherchent à mettre le doigt dans la plaie plutôt que de vanter la grandeur des troupes américaines. Redford, qui n'a jamais caché ses engagements politiques et moraux, y jette un regard plus que critique sur la stratégie guerrière menée par son pays dans l'Afghanistan de 2001. Peut-être a-t-il plus cherché à convaincre qu'à séduire – malgré l'interprétation calibrée, outre les deux "anciens", de Tom Cruise et Andrew Garfield, il est permis de rester insatisfait.
En revanche, on s'explique mal le sabordage de La Conspiration, son dernier film en date (2011), dont l'échec aux USA a dissuadé les distributeurs français, malgré son prix au Festival d'histoire de Pessac, de lui offrir une sortie.
Certes, il s'agit d'un film à thèse – le problème posé par une justice dépendante du pouvoir politique et les pressions qu'elle doit subir et accepter pour le bien supérieur de l'État -, et qui renvoie à une lointaine période : la guerre de Sécession, qui, comme on sait, n'intéresse que comme cadre pour Autant en emporte le vent. Mais le procès des comploteurs qui ont assassiné le président Lincoln, mené devant un tribunal militaire dans des conditions honteuses au regard du droit, est une allégorie transparente des entorses imposées à la justice américaine par le Patriot Act des années Bush.
Si le film se passe dans le Washington de 1865, le Guantanamo actuel n'est pas loin. Que le spectateur américain préfère ne pas voir une situation déplaisante, on le comprend (ici, le spectateur des années 50 et 60 n'aimait pas qu'on lui rappelle qu'il y avait une guerre en Algérie), que le public français soit privé d'un film aussi politiquement juste et aussi justement interprété est fort dommage.
Robert Redford semble avoir raccroché sa casquette d'acteur. À 75 ans, on peut admettre qu'il n'ait plus envie de jouer ; on peut cependant espérer qu'il continue à porter fièrement sa casquette de réalisateur. Clint Eastwood, son aîné de six ans, lui ouvre le chemin.
Lucien Logette
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