UniversCiné utilise des cookies afin de vous offrir une expérience utilisateur optimale.
En les acceptant vous nous permettez d’améliorer nos services, de mesurer notre audience, de personnaliser votre expérience et vous pourrez bénéficier des fonctionnalités relatives aux réseaux sociaux.
Vous pouvez personnaliser vos choix en cliquant sur « PERSONNALISER » et obtenir davantage d'informations en consultant notre politique de gestion des cookies.
C'est le mal-aimé du cinéma français d'après-guerre. Pas par le public, heureusement, qui a fait un succès à tous, ou presque tous, ses films, mais par la critique complice de la Nouvelle Vague, pour qui il a représenté, avec Jean Delannoy et quelques autres, le cinéma de la qualité française le moins défendable.
Pour qui prônait l'improvisation, les scénarios écrits sur le pouce et la caméra dans la rue, René Clément incarnait l'anti-modèle. Une chose est certaine : Clément n'est pas un "auteur", selon la terminologie et la conception alors développées. Pas d'obsession reconnaissable d'un film à l'autre, pas de thèmes personnels, pas d'interventions du cinéaste dans ses œuvres, pas de frémissements : ce n'est ni Jean-Luc Godard ni Pierre Kast. Clément ou l'exécutant froid.
Ainsi s'explique sans doute ce fait étrange qu'un réalisateur ayant signé près de vingt films, dont certains figurent dans la liste des "films français incontournables", ayant récolté un Grand Prix à Cannes (La Bataille du rail, 1946), un Oscar du meilleur film étranger (Jeux interdits, 1952), un Lion d'or à Venise (Gervaise, 1956), et offert à Gérard Philipe (Monsieur Ripois, 1954) et à Alain Delon (Plein soleil, 1960) leurs rôles parmi les plus mémorables, n'ait donné lieu à aucune biographie ni étude posthumes. C'est là un effet les plus déplaisants de la "politique des auteurs" – par bonheur, ses films parlent pour lui, et il suffit de les revoir pour vérifier leur puissance et leur intérêt.
Formellement, Clément est certainement un des cinéastes français les plus accomplis, possesseur d'une technique hors pair, immédiatement en place dès son premier film, La Bataille du rail, d'abord conçu comme un documentaire sur la résistance menée par les cheminots en 1944, peu à peu transformé, au fil de l'évolution de la guerre, en docu-fiction, même si le terme n'existait pas encore, et qui préfigure ce que le néoréalisme italien allait découvrir l'année suivante.
Le Père tranquille, qu'il tourne avec Noël-Noël en 1946 – nouveau récit sur la Résistance, énorme succès à l'époque, jamais démenti – puis Les Maudits (1947), sur la fuite de nazis après la défaite, un des premiers "films de sous-marins", confirment les qualités narratives du réalisateur, que l'on retrouvera dans ses titres suivants, qu'ils soient tournés avec des vedettes (Jean Gabin dans Au-delà des grilles, 1948, Jean Marais et Michèle Morgan dans Le Château de verre, 1950) ou des enfants inconnus (Brigitte Fossey et Georges Poujouly dans Jeux interdits). Le succès planétaire de ce dernier film ne s'explique pas seulement par le morceau de guitare de Narciso Yepes : soixante ans après, la justesse des situations, l'émotion vraie, la direction d'acteurs sans failles ont gardé toute leur force.
Plutôt que d'exploiter le filon du film d'enfants, Clément va signer quatre œuvres sans aucun point commun, sinon d'être chacune adaptée de romans, peu connu (Monsieur Ripois, d'après Louis Hémon), archi-connu (L'Assommoir, de Zola, devenu Gervaise), pas encore connu (Barrage contre le Pacifique, d'après Marguerite Duras, 1958) ou policier (Mr Ripley, de Patricia Highsmith, devenu Plein soleil). Clément va réussir ces quatre adaptations, restituant parfaitement le désespoir londonien du premier (dialogué par Raymond Queneau), la reconstitution naturaliste de la déchéance de la mère de Nana du second, l'exotisme du troisième (une des plus justes transpositions de l'univers durassien première manière) et créant le meilleur Ripley de l'histoire. Aucun "auteur", certes, derrière tout ça, mais un cinéaste, un vrai, capable de livrer au public - qui ne s'y est pas trompé – des spectacles irréprochables.
Irréprochables sont également les films qui suivent – excepté la pénible expérience, en 1966, de Paris brûle-t-il ?, insupportable film de prestige en forme d'anti-Bataille du rail -, tant ceux avec Delon, Quelle joie de vivre !, jolie comédie à l'italienne (1961), et Les Félins, Série Noire scénarisée par Charles Williams (1964, avec Jane Fonda), d'une efficacité tout américaine, que sa revisitation de la Résistance, Le Jour et l'heure (1962, avec une Simone Signoret remarquable), dialogué par Roger Vailland – Clément savait s'entourer.
Est-ce d'avoir goûté à la Série Noire et d'avoir pu vérifier le professionnalisme des acteurs américains ? Ses quatre derniers films seront des polars, de belle facture, pour lesquels il s'appuiera sur des "durs" hollywoodiens garantis, Charles Bronson pour Le Passager de la pluie (1969), Frank Langella pour La Maison sous les arbres (1971), Aldo Ray et Robert Ryan pour La Course du lièvre à travers les champs (1972), Vic Morrow et Robert Vaughn pour La Baby-sitter (1975). Chacun alliait maîtrise et élégance, efficacité et professionalisme : si le dernier d'entre eux fut mal accueilli, au point que Clément se retira ensuite, les trois autres demeurent des moments forts du cinéma de genre du début des années 70. Il n'est pas certain que l'on ait toujours fait mieux depuis.
Lucien Logette
_TITLE