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Curieusement, ces films, célébrés en leur temps, n'empêchèrent pas leurs auteurs de plonger dans l'oubli et ce n'est que tardivement qu'ils furent redécouverts et retrouvèrent la place qu'ils méritaient d'occuper dans l'histoire du cinéma.
Michael Powell entra très tôt dans la profession, grâce à un père directeur de studios, devint assistant d'Hitchcock dans les années vingt et réalisateur dès 1931 ; un réalisateur prolifique, puisqu'il signa vingt-cinq films avant la déclaration de guerre, des films souvent courts (60', les fameux "quota quickies"), enlevés, dont les deux derniers sont notables, À l'angle du monde (1937), faux documentaire sur une île perdue des Orcades et L'Espion noir (1938), dans lequel Conrad Veidt campait un espion allemand mémorable, sur un scénario d'Emeric Pressburger.
Celui-ci était un Juif hongrois, peu à peu chassé d'Europe par le nazisme : après avoir travaillé comme scénariste à Berlin, puis à Paris, il se réfugia à Londres en 1937, et après sa rencontre avec Powell, ne travailla plus qu'avec lui, deux décennies durant. Entre l'homme d'écriture et l'homme d'images, le travail était si fusionnel que tous leurs films à partir de 1942 portèrent leurs deux noms, à la fois comme scénaristes, réalisateurs et producteurs (ils avaient fondé la socité The Archers). Association rare, surtout sur une telle durée.
Après avoir cosigné un Voleur de Bagdad (1940), aux couleurs superbes, Powell réalise, sur un scénario de Pressburger, 49e parallèle, film de guerre (une patrouille de sous-mariniers allemands débarque au Canada et traverse le pays en semant la mort) qui, malgré la date (1941) échappe à tout manichéisme ; on retrouvera, dans les autres films tournés pendant la guerre, cette même volonté de ne pas charger la barque de la propagande.
Ainsi, Colonel Blimp (1943) tracera un tel portrait d'un officier allemand loyal et sensé face à un officier anglais caricatural que Churchill tentera de le faire censurer ; le film est sans doute un des titres les plus beaux de la période, délivrant sans prêchi-prêcha un message dont l'intelligence étonne encore. Les cinq années suivantes verront les chefs-d'œuvre se succéder : Une question de vie ou de mort (1946), avec son inoubliable escalier infini grimpant vers le ciel, Le Narcisse noir (1947), recréation en studio de manière ébouriffante d'un communauté de nonnes dans l'Himalaya, aux couleurs somptueuses, aussi somptueuses que celles des Chaussons rouges (1948), mélodrame en forme d'opéra chorégraphié.
Tous ont en commun une beauté plastique exceptionnelle – décors, costumes et surtout couleurs, un Technicolor magnifiquement maîtrisé par le chef-opérateur Jack Cardiff. Une semblable beauté que l'on retrouve dans La Renarde (1950), mélodrame en costumes avec Jennifer Jones, et dans Les Contes d'Hoffmann (1951, Ours d'or à Berlin, prix spécial à Cannes), trois actes dansés et chantés, spectacle total qui transfigure l'œuvre d'Offenbach. La pression retomba, et les quatre films suivants furent loin d'atteindre de tels sommets, qu'il s'agisse des films de guerre, La Bataille du rio de la Plata et Intelligence Service, ou des films musicaux, Oh ! Rosalinda et Lune de miel, comme si, après quinze ans de réussite, l'élan était coupé.
Ils mirent un terme à leur collaboration et Powell tourna seul Le Voyeur (1960). Œuvre inattendue, film d'épouvante au sens strict tant certaines de ses séquences sont éprouvantes, le film met en scène un assassin de prostituées qui filme l'exécution de ses victimes pour capturer le moment où la mort les saisit. Réalisé sans complaisance ni morbidité, comme un cas psychanalytique, mais offrant en même temps une dimension quasi poétique aux affres de son meurtrier pervers, Le Voyeur, métaphore de la recherche d'une mise en spectacle absolue,créa le scandale en Angleterre (les termes employés par la critique allaient d'"abject" à "ignoble"), qui inscrivit son auteur sur la liste noire et brisa sa carrière.
Powell se replia en Australie, où il tourna encore deux films qui n'eurent que peu d'audience (le second, Age of Consent, 1969, avec pourtant James Mason et Helen Mirren), avant de conclure sa filmographie en bouclant la boucle, avec Return to the Edge of the World, retour, en 1978, dans l'île de Foula filmée quarante et un ans plus tôt. Quasi oublié, dans la gêne, c'est grâce à des fanatiques comme Martin Scorsese et Bertrand Tavernier qui rééditèrent ses films, que, quelques années avant sa mort, il put retrouver sa notoriété disparue.
Lucien Logette
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