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On l’a découvert en 1970 au Festival de Cannes, à la Semaine de la critique. On y projetait Kes, l’histoire d’un gosse de prolétaires du Nord de l’Angleterre, figure de déshérité, qui se prend de passion pour un faucon. Puis deux ans plus tard, on l’a retrouvé à la Quinzaine des réalisateurs avec Family Life, l’histoire d’une jeune fille en conflit avec ses parents qui sombre dans la folie. Depuis on ne l’a plus quitté. Ken Loach est devenu une des figures de proue du cinéma européen.
Né en 1936, Ken Loach, dont le père travaillait comme électricien dans une usine, s'est fait le chroniqueur militant de cette classe ouvrière dont il est issu. Après une enfance tranquille dans une petite ville des Midlands. Il fait ses études de droit à Oxford. Là, il joue dans une troupe de théâtre qui de fil en aiguille, le mène, au début des années 1960, à la télévision. Il est crédité comme réalisateur sur les premiers épisodes de la série Z Cars, en 1962. Mais rapidement, influencé par les romans d'Alan Sillitoe (Samedi soir, dimanche matin, La Solitude du coureur de fond), il commence à s'intéresser aux « petites gens », aux « classes laborieuses » et se fait remarquer par des docu-dramas comme Cathy Come Home (1966).
Ken Loach – qui, bien que Britannique, a appelé à voter successivement pour Arlette Laguiller puis Olivier Besancenot et a pris position pour le "non" dans le référendum français sur l’Europe – n’a jamais caché son antistalinisme ni le mépris que lui inspirent les sociaux-démocrates « qui ont toujours trahi les intérêts des classes qu'ils feignent de représenter et de défendre ».
Son cinéma tente de donner la parole aux déshérités, aux abîmés de la vie, aux laissés-pour-compte de la modernité, mais aussi de l’histoire. Ainsi son cinéma se divise-t-il en deux grands fleuves qui coulent parallèlement pour parfois se rejoindre comme dans Carla’s Song (1996). D’une part la chronique de la classe ouvrière britannique au prise avec le chômage, l’alcoolisme, la drogue, la névrose, la famille, l’exil, l’immigration : Riff Raff (1990), Raining Stones (1993), My name is Joe (1998), Sweet sixteen (2002), Just a kiss (2004), It’s a free world (2007). D’autre part des fresques historico-politiques qui cherchent à fouiller le passé pour mieux comprendre le présent : Land and freedom (2007) sur la guerre d’Espagne, Le vent se lève (2006), sur le soulèvement irlandais de 1920, qui obtiendra la palme d’or au Festival de Cannes. Il l'obtiendra d'ailleurs une seconde fois en 2016, avec Moi, Daniel Blake. Qu’il s’agisse de fresque historique ou de plongée dans les banlieues à l’abandon des métropoles britanniques, on retrouve toujours la même volonté de provoquer une prise de conscience.
Mais laquelle ? Est-il ce militant révolutionnaire dont une certaine cinéphilie vilipende le manichéisme archaïque ? Ou le chroniqueur avisé d’une classe ouvrière en proie à l’errance et à la dépression. Car s’il est un thème qui ressurgit en permanence dans les films de Ken Loach, c’est bien celle des luttes fratricides. Que ce soit en Espagne, en Irlande, chez les petites gens de It’s a free world, ou parmi les communautés immigrées de Just a Kiss, les personnages de Ken Loach sont loin d’être des saints. Ils sont les héros shakespeariens d’un monde où le bien et le mal, la solidarité et la trahison, la liberté et l’argent, ne cessent de s’affronter.
Le réalisateur, qui vit avec sa famille dans la petite ville tranquille de Bath (où il est supporteur et actionnaire du club local de football – un signe extérieur ostentatoire d’appartenance à la classe ouvrière), porte sur son travail un regard aussi sévère que celui qu’il porte sur la société. Ses films les plus réussis ? Ceux qui manient l’humour, cette arme absolue face à la bourgeoisie, et planche de salut inestimable quand le malheur vient frapper à votre porte. On peut être le réalisateur le plus sérieux du monde et avoir compris le danger de se prendre au sérieux.
Laurent Carpentier
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