« Dans cette industrie, tant que vous n’êtes pas considéré comme un monstre, vous n’êtes pas une star » - Bette Davis
Le conte horrifique en deux temps de Ti West avait eu un important succès d’estime en 2022, transcendant la salle. Dans X et Pearl, les destins de Maxine Minx, jeune actrice porno rêvant de la reconnaissance suprême sous les lumières d’Hollywood, ainsi que Pearl Howard, son pendant maléfique, avaient trouvé leur plus fort écho sur les réseaux sociaux. Son traitement du trope horrifique du female rage était alors particulièrement applaudi. Un trope dont le distributeur américain A24 s’était déjà emparé à travers Midsommar et The Witch. X développe ainsi une mythologie, une qualité de création d’univers rare, criant d’une ambition à s’étendre sur plusieurs histoires…
À l’heure où les projets originaux se font au compte-gouttes à Hollywood, Ti West, dont la carrière évoluait jusque-là dans la marge, s’est servi d’un contexte de production bien particulier pour accoucher de deux films tournés bout-à-bout. Alors que X, son premier opus, devait être un standalone, la crise du COVID bloque les équipes d’Avatar : la voie de l’eau en Nouvelle-Zélande. Une occasion rêvée pour le metteur en scène qui les recrute au pied levé. Ainsi naît un second opus qui serait autrement resté au stade du fantasme : Pearl, retournant les décors du premier film pour narrer l’histoire du deuxième se déroulant soixante ans plus tôt.
Partant d’un postulat proche de celui de la référence Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, le premier opus suivait un groupe de jeunes arrivant dans une ferme de l’Amérique profonde, afin de tourner un film porno. Confrontée à la terrible nature meurtrière de leurs hôtes, la liberté sexuelle de ces personnages allait violemment se heurter à un mur.
Jusqu’ici, rien de nouveau : le genre a pour habitude de punir ses victimes pour leurs « écarts » sous la couette, les femmes notamment. Aux prises avec le terrible couple Pearl et Howard Douglas, vieillards conservateurs emprisonnés dans leurs corps vieillissants et rongés d’envie, le groupe se voit décimé dans l’ombre, tandis que se dessinent deux potentielles survivantes au massacre. D’un côté, la pieuse Lorraine, incarnée par l’idole des jeunes Jenna Ortega. De l’autre, l’arriviste déconnectée Maxine, à qui Mia Goth prête ses traits. Elle que le public a connu à travers de sulfureuses prestations chez Lars Von Trier, Claire Denis et Luca Guadagnino, sidère ici sous le maquillage ridé de Pearl comme celui bleu pastel de Maxine. Qui des deux final girls se libérera de ces carcans ?
Si Maxine, dans sa case de belle libérée, a tout de la victime désignée, c’est pourtant la prude et timide Lorraine, survivante idéale du genre, qui périra au bord de la victoire sur l’horreur dans un coup d’éclat grotesque. Elle offre ainsi un boulevard à la première, vers la gloire et les projecteurs. S’ouvrent alors deux voies pour la suite des aventures de Maxine.
La première route étant celle du passé venant frapper à la porte : X est ponctué de séquences s’attardant sur le prêche d’un télévangéliste, que cela soit dans une épicerie sur le bord de la route où s’attardera l’équipe, ou bien sur la télévision d’Howard et Pearl à la ferme. Dans la dernière séquence, il est révélé que ce même télévangéliste est à la recherche de sa fille disparue – Maxine – donnant une nouvelle dimension, celle du poids de la foi, à la croisade de notre protagoniste. La seconde route que peut prendre la suite directe de X est celle, bien plus théorique, de la sentence finale de Pearl : « tu finiras comme moi ! ».
C’est sur cette sentence qu’il faudra s’attarder pour comprendre ce qu’aurait pu être MaXXXine, ce qu’est le fantôme qui le traverse, et caractérise finalement tout l’arc narratif de notre héroïne.
Revenons en arrière, en 1918, aux racines du mal. Avec Pearl, Ti West levait le voile sur le passif de la sanglante et frustrée octogénaire de X, le film arrivant à la Mostra de Venise cinq mois après le premier opus, sans annonce ni fanfare. Un objet explosif et unique où Mia Goth déversa toute l’étendue de son talent, le personnage devenant immédiatement une icône culte des réseaux et des nouveaux publics de l’horreur. Une préquelle prenant visuellement le contre-pied du film d’origine à travers un simili-technicolor des plus réjouissants. Un film qui ira jusqu’à donner des insomnies à Martin Scorsese, comme celui-ci le révéla au site Slashfilm à l’automne 2022…
De son propre aveu, Ti West avait davantage envisagé le destin de Pearl comme une Mary Poppins atteinte de maladie mentale que celui d’une Dorothy Gale arrivant au pays d’Oz, comme certains aspects du film pouvaient le laisser penser. En un premier temps, Pearl est un personnage merveilleux semblant issu des studios Disney, venant à discuter avec ses amis de la ferme, les mettant dans la confidence de ses rêves de grandeur dans une joyeuse chorégraphie, avant que le tout bascule dans l’horreur et que celle-ci les donne en pâture à son crocodile de compagnie.
Le film persévèrera dans cette ambivalence, en permanence dans la rupture de ton. Finalement, c’est dans la tragédie du personnage que se trouve le point de fédération. Pearl est un character study qui nous rend cette antagoniste bien plus intime que Maxine, quand au bout de deux heures de film, tous les rêves et doutes du personnage nous semblent familiers.
L’autre grande référence de Pearl se trouve du côté de Billy Wilder et son classique Boulevard du crépuscule : la préquelle de Ti West est le récit d’un rêve déchu, celui du désir des étoiles alors même que le septième art est au berceau. La radiographie d’un rêve se nécrosant peu à peu tandis que la condition de notre psychopathe se referme sur elle. Ce conte macabre, amer, offrait un bien mauvais présage pour la continuité du récit d’ascension de Maxine. Qu’est-ce donc que ce cycle de trois films ? Le récit des rêves brisés lorsque s’approche la lumière ? Entre fantasmes, empowerment et excès 80’s, le troisième et dernier (?) opus, MaXXXine, est ailleurs.
Le parcours de Maxine Minx, dans le troisième film, est celui d’un personnage volontairement mis entre ombres et lumières, tant dans ses motivations profondes que son incarnation physique. Cela s’image tout autant dans la façon dont celle-ci sera éclairée entre les ruelles brumeuses de Los Angeles, les boules à facette des milieux interlopes dans laquelle elle évolue, ainsi que les décors hollywoodiens dans lesquels se joue le jeu de chat et de la souris qui l’oppose à un répugnant détective privé (Kevin Bacon). Si Pearl est l’âme de la saga et le sujet de son récit édifiant, Maxine est la note théorique de Ti West, un personnage-symbole sur lequel reposent les images de toute une histoire du cinéma, qui évoluera à travers sa propre duologie derrière un nom de scène, en fuite constante : de toutes attaches émotionnelles, d’un passé religieux asphyxiant.
La moulinette broyeuse de rêves est une grande cousine des récits d’ascension et de célébrités féminines. Jusqu’à The Neon Demon en 2015 et depuis des décennies, les femmes se bousculent au cinéma et s’entredévorent lorsque la lumière s’évapore et se décale vers de nouveaux talents. De grands films se sont faufilés dans la brèche pour exhumer toute la tristesse et le grotesque macabre de la situation. Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich, étonnant chef-d’œuvre gothique, s’amusait du pugilat entre Bette Davis et Joan Crawford, ennemies jurées à la ville comme à l’écran. Des figures monstrueuses, et terriblement symboliques du trope.
En lançant sa Maxine sur les étoiles de Hollywood Boulevard, Ti West a conscience de l’héritage qu’elle devra porter. Quand elle franchit les portes de sa première audition, les yeux de Norma Desmond (Gloria Swanson dans Boulevard du Crépuscule), Baby Jane Hudson (Bette Davis dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?), Margo Channing (Bette Davis dans Eve) ou encore Sarah (Abbey Lee Kershaw dans The Neon Demon), sont rivés sur elle.
Autant que l’ombre de Pearl qui plane sur les mésaventures hollywoodiennes de la protagoniste, le film lui-même évolue dans cet étau de chute annoncée : en introduction est citée Bette Davis, qui aura été la figure de proue de celles réussissant le triste exploit de vivre une seconde vie sous les étoiles. C’est sous l’iconique chanson des années 1980 Bette Davis Eyes de Kim Carnes que défilera le générique de fin. C’est même une des raisons avancées par Maxine pour quitter le monde du hard lors de son casting, le personnage entrant dans sa trente-cinquième année et espérant durer davantage dans « de vrais rôles ». La malédiction de Pearl est à chaque tournant de son histoire.
Pourtant, comme Ti West semblait refuser à sa Maxine d’être la mean girl sacrifiée de X, il lui refusera une évolution de personnage carnassier écrasant toutes et tous (et surtout toutes) sur son chemin.
Alors qu’elle fait face à sa propre histoire et au joug paternel, l’héroïne évolue toujours en observation et à distance du drame en cours. C’est là tout le dilemme auquel Ti West confronte son héroïne. Prendre part à l’action, devenir littéralement personnage de la fiction en cours. Venir au secours de ses amies en proie à un terrible tueur en série, ou rester l’évanescence théorique qu’elle incarnait jusque-là.
Sous la perruque de blonde hitchcockienne et costume des années 1950 qu’elle arbore pour son premier film de cinéma, Maxine porte littéralement l’histoire sur ses épaules, marque encore plus évidente de cette dualité entre personnage réel et allégorie continue.
Dans une dernière séquence, la réalisatrice incarnée par Elizabeth Debicki (Tenet, la Lady Di de The Crown…) demande à la nouvelle star quels seraient ses projets pour la suite, ce à quoi Maxine répond, abreuvée de gloire : « Je veux jamais que ça s’arrête ». Affirmant enfin cette crainte après être allée jusqu’au bout de la maxime que lui inculquait son père (“je n’accepterai pas une vie que je ne mérite pas”), la jeune femme entre enfin dans la danse. Plus dure sera la chute ?
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