Cyprien Vial : "Un film de super-héros sans super pouvoirs"
VIDEO | 2015, 15' | En suivant un mineur étranger sans papiers, Cyprien Vial confronte l'idéal républicain à ses l1
Au Pôle emploi du 93, 40 agents font face à 4000 demandeurs d’emploi. Samia, Corinne, Thierry, Zuleika ont intégré l'impossible à leur quotidien.
Dans un Pôle emploi du 93, quarante agents font face à quatre mille demandeurs d’emploi. Samia, Corinne, Thierry, Zuleika doivent soutenir et surveiller, faire du chiffre, obéir aux directives politiques et aux injonctions de communication, trouver du travail là où il n’y en a pas. C’est la vie d’une équipe qui a intégré l’impossible à son quotidien.
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" Nora Philippe adopte un ton doux-amer pour aborder la situation des agents travaillant chaque jour au sein d’une institution m
" Nora Philippe adopte un ton doux-amer pour aborder la situation des agents travaillant chaque jour au sein d’une institution malade. Le film se concentre dans un premier temps sur les rapports parfois tendus qu’ils entretiennent avec les demandeurs d’emploi, pour mieux s’orienter par la suite vers leur confrontation avec le fonctionnement même de l’agence. Ils sont alors eux aussi regardés comme des employés soumis à la pression de l’entreprise. Entretiens d’embauche, contrats à durée déterminée, avancée de carrière bloquée, peur du chômage... Les employés de Pôle Emploi se retrouvent du même côté que les personnes qu’ils accueillent quand il s’agit de subir la pression d’une crise politique et économique qui pèse de plus en plus sur les salariés.
Pourtant le film n’est en rien larmoyant, et se révèle même souvent assez drôle.
Cette légèreté n’est pas le résultat d’une relativisation artificielle de la situation. Les rires sont partagés avec les agents, qui parviennent souvent à se réfugier dans un second degré salvateur devant l’absurdité des situations auxquelles ils sont confrontés. Tout du moins quand ils ne craquent pas sous la pression de la dictature des chiffres, ou devant leur incapacité croissante à traiter tous leurs dossiers correctement.
Se revendiquant totalement de l’héritage de Frederick Wiseman, la réalisatrice délaisse toute approche explicative pour mieux se concentrer sur les rapports humains qui se créent autour des logiques ubuesques de la bureaucratie.
En observatrice silencieuse, elle trouve dans les locaux de l’agence autant d’axes de prise de vue pour restituer l’ambiance crépusculaire des lieux. Elle observe les agents essayer de faire corps pour remplir leurs missions, alors qu’ils sont constamment séparés les uns des autres par toutes sortes d’obstacles. Les personnes se parlent en usant d’acronymes venant d’un autre monde, pour débattre de nouvelles procédures plus ou moins incompréhensibles. Les bureaux sont isolés par des vitres décorées de silhouettes sans visages, les poignées des portes s’arrachent sans plus surprendre personne. Et bien sûr, il y a l’informatique, dieu farceur qui efface les rendez-vous, empêche l’archivage des dossiers, et tombe en panne. A la vue des machines alignées recouvertes d’étiquettes « hors d’usage », on en finirait presque par se croire dans un des décors de Playtime de Jacques Tati.
La justesse de la position de la réalisatrice, admirablement tenue tout au long du film, se voit malmenée à une seule occasion dans une courte séquence durant laquelle des agents sont installés face caméra pour lire des lettres écrites par des demandeurs d’emploi suite à leur avis de radiation. On peut comprendre l’intention initiale de la réalisatrice consistant à révéler des courriers habituellement classés dans des dossiers sans plus de considération. Mais cet interventionnisme soudain, qui place ces agents dans la position de porte-paroles d’anonymes éliminés par le système, évoque alors une sorte de processus d’expiation, qui était tout à fait dispensable.
Pour autant ce faux-pas n’entache pas ce que parvient à révéler Nora Philippe quand elle se concentre sur les tensions contradictoires auxquelles sont soumis les agents de Pôle Emploi. Cette catégorie d’enjeux transparaît tout particulièrement dans le personnage de la directrice d’agence. Là aussi, on retrouve quelque chose de commun avec Frederick Wiseman. Il suffit de repenser à sa manière d’aborder le directeur de la National Gallery dans son dernier film. Celui-ci s’employait à tracer une voie entre la nécessaire modernisation du musée, et la protection de l’intégrité du sanctuaire face aux tentatives extérieures d’appropriation de son prestige.
La filmographie de Wiseman est peuplée de ces personnes qui doivent assumer une fonction portant en elles des enjeux de société majeurs, sans qu’ils ne soient forcément conscients de l’importance de leur situation, à la croisée des chemins.
Or c’est justement la présence de la directrice qui va donner toute sa force à la très réussie dernière séquence du film. Dans cette scène impitoyable, la seule se déroulant hors des locaux de l’agence, un élu se gargarise sous le crépitement des flashs de l’embauche en "emploi d’avenir" de quatre jeunes dans les services de propreté et hygiène de la ville.
Mission accomplie, on sort les bouteilles de champagne, on insiste sur le fait que ces jeunes de Seine-Saint-Denis sont enfin sur la bonne voie. On leur fait même la morale. Cynisme sans limite ou crédulité coupable ? Dans les deux cas, alors que la mascarade est observée par celle qui essaie de tenir la barre au milieu de la tempête, il n’y a vraiment plus de quoi rire."
"En plantant sa caméra dans ce décor, la jeune documentariste Nora Philippe, 32 ans, dévoile, sans forcer le trai
"En plantant sa caméra dans ce décor, la jeune documentariste Nora Philippe, 32 ans, dévoile, sans forcer le trait, les failles d'un système arrivé en bout de course. Réalisé en 2013, sur un laps de temps de trois mois, son film est une immersion vertigineuse dans les arcanes d'une bureaucratie déréglée. Son parti pris est original. Elle a choisi de suivre exclusivement les conseillers de Pôle emploi qui, au nombre de quarante, gèrent pas moins de quatre mille dossiers.
Des chiffres accablants, symptomatiques du malaise qu'éprouvent des employés submergés par leur tâche. Elle s'avère d'autant plus écrasante qu'il leur est tout simplement impossible de s'en acquitter, faute de moyens. Evacués, dès lors, les vœux pieux d'accompagnement personnalisé. Les agents doivent se résoudre à recevoir leurs interlocuteurs collectivement. La directrice de l'agence légitime cette manière de faire auprès d'une équipe sceptique, au motif que cette solution vaut mieux que rien.
Pourtant, elle-même s'y perd. Le sourcil froncé face à son écran d'ordinateur, on la voit tâtonner pour tenter d’élucider de nouvelles consignes incompréhensibles, émanant de sa hiérarchie. Plus tard, les agents se voient remettre un lot de chemises pour classer et archiver à la main les dossiers des demandeurs d'emploi qui seront non conservés informatiquement. Il y a bien, dans le lot, encore quelques fortes têtes pour discuter ces directives insensées. Mais les velléités de réforme s'arrêtent sur le seuil d'une agence où on tire nerveusement sur une cigarette, avant de retourner dans l'arène.
La grande vertu du film de Nora Philippe se loge dans sa manière intelligente d'observer sans traquer les conflits ou toute autre forme de climax. Ce qu'elle capte, parfois avec une pointe d'ironie, c'est un lent travail d'érosion. Il affecte le personnel de l'agence, bientôt au bord de l'implosion. Ce processus d'altération qui marque les visages, atteint le décor lui-même. Les ordinateurs tombent en panne, une poignée de porte défectueuse déclenche une série de courriers motivés. Métonymies à elles seules d'une institution inadaptée au chaos qui gronde à ses portes."
" Le film passionne par les complexités qu'il révèle. On s'attache à ces conseillers qui se ba
" Le film passionne par les complexités qu'il révèle. On s'attache à ces conseillers qui se battent comme des lions pour que leurs interlocuteurs ne soient pas traités comme des numéros, on sympathise avec ces candidats à l'embauche que la crise rend plus fragiles encore."
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