" Le voilà bien, le réalisme du merveilleux prôné par Cocteau. La naïveté avec laquelle il convient que le merveilleux propre au cinéma serve le merveilleux propre au conte. Il ne faut pas tricher. Demy ne triche pas. Nul doute : Cocteau, à cette Peau d'Ane, prendrait un plaisir extrême. Et nul doute : Demy, qui aime et admire Cocteau (…) pense au plaisir de Cocteau. Il entend que Cocteau participe à son film : par référence à certains de ses poèmes, précisément cités ; par le truchement de Jean Marais, de la voix de Jean Servais, de silhouettes de nains trottinant très Piéral ; par l'écho qu'éveillent certaines trouvailles de mise en scène (…) ; Demy généralise l'astuce, en la retournant comme un doigt de gant : ce ne sont plus les objets qui vivaient, mais les domestiques vivants qui sont objets (...)
Qu’on ne crie pas à l’ironie condescendante. Rien de commun. Cet humour, cette tendresse amusée plutôt, qui nous invite à un second niveau de lecture, prouve que Demy traite Perrault avec sérieux — ainsi que ses contes de fées. Le sourire s’y trouve, et les allusions, sinon de franche gauloiserie, du moins d’un érotisme aussi délicat que précis, qui ajoutait au bonheur du merveilleux ragoût d’une sensualité narquoise. Pas plus que les fables de La Fontaine, les contes de Perrault ne s’adressaient d’abord aux enfants : ils atteignaient un public d’adultes très civilisés, très raffinés, férus de conversation galante et de bel esprit, habitués aux subtilités des sous- entendus piquants et qui vivaient hors la morale bourgeoise (qui n’a pris toute sa nocivité qu’avec le XIX siècle louis-philippard) (...)
De ce conte immoral avec fraîcheur, Demy n’a pas dissimulé la gentillesse plaisamment subversive. Tant mieux. Il faudrait un esprit bien chagrin pour rechigner. Une seule chose me chagrine. Car, enfin, le père veut " épouser " la fille ; le prince et la princesse, sous le coup du coup de foudre, envisagent le catalogue des plaisirs à vivre ensemble et, horreur c’est un catalogue hippie : l’alcool, la bête à deux dos, " l’herbe " ! On voit Peau d’Ane et son prince fumer! A une époque où notre président relance le père de famille comme une lessive de marque (la plus blanche des familles blanches avec un papa aux enzymes U.D.R.), on croit rêver - cauchemarder. Qu’attendent les services de M. Marcellin? Ils n’ont pas dû comprendre. Dommage. J’aurais aimé que Peau d’Ane soit interdit aux moins de dix-huit ans. Comme Hara-Kiri Hebdo. "
Jean-Louis Bory (04/01/1971)
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