" Un film qui dure plus de trois heures, mais qui passe comme l'éclair. Un film construit comme une symphonie avec un premier mouvement vertigineux allegro-jazz suivi d'un adagio en forme de gospel qui précéde un scherzo haletant d'interrogations angoissées. Puis, un allegro final emporte le tout dans le fracas de percussions meurtrières. Spike Lee est un magicien de l'image et du rythme. (...)
L'allegro initial dénonce toutes les débauches auxquelles il s'abandonnait dans sa jeunesse : l'alcool frelaté, les drogues dures, le sexe cynique, la danse provocante, l'argent chapardé. Et toujours avec une ostentation frénétique, des costumes voyants, une agitation dangereuse. Spike Lee est à son affaire. Caméra au poing, il réussit un étourdissant morceau da bravoure dans les quartiers chauds de Harlem. Il nous émerveille par ce spectacle, et laissse entendre - ce qui est le propos fondamental de son film - que les Noirs américains sont précipités dans leur déchéance par la malignité des Blancs qui barrent leur route vers toute promotion spirituelle et sociale, aidés en cela par une religion chrétienne prêchant l'humilité, la pauvreté, la soumission.
Quand viendra l'heure de la méditation derrière les barreaux du pénitenciers, Malcolm prendra conscience que le seul moyen de rendre sa dignité à « son » peuple reste de le conduire dans les voies de l'austérité sans amenuiser sa vitalité, de le rendre fier de ses racines africaines, d'en imposer le respect aux adversaires sans couleur afin de parvenir à une coexistence exclusive de toute subordination. Et iI va fourbir les armes de la révolte : engagement dans la foi islamique, construction de temples, instauration d'une discipline absolue plus menaçante pour l'establishement et déroutante pour la police que la déliquance légalement justifiable de la matraque. Ici, à la violence de l'image se substitue celle de la parole. (...)
Les événements se précipitent alors, du calme de la paix armée à un paroxysme dramatique. Certes, Spike Lee continue au fil des scènes à diffuser les arguments de Malcolm, dont on peut discuter la logique sinon l'opportunité, le principe sinon l'efficacité. La fin ne justifie que rarement les moyens, fusssent-iIs psychologiques, même si la bonne foi du prédicateur ne saurait être mise en doute. Mais le metteur en scène n'oublie pas que pour soutenir la fascination du spectateur, il faut sans cesse le surprendre, l'entraîner par exemple des bas-fonds new-yorkais à la Mecque. (...)
On ne saurait réver d'un film plus stimulant d'idées, d'agacements divers, de partis pris vivifiants. Jamais en repos et donnant le sentiment d'une permanente imagination. Mais je ne suis pas sûr, qu'en dépit de sa charge explosive, il serait aussi efficace sans la présence déchaînée puis réfléchie et finalement désespérée de Denzel Washington, un comédien exceptionnel, maître absolu de sa voix, d son geste, de ses expressions. Toujours juste et vibrant. Une merveille."
Claude Baignères, 24/02/1993
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