Mehmet Can Mertoğlu : "En Turquie, avoir un enfant, c’est comme acheter une machine à laver..."
Après avoir réalisé deux court métrages Fer et Yocus, Mehmet Can Mertoğlu s'est attaqué à son premier long métrag1
En Turquie, un couple marié, approchant la quarantaine, tente à tout prix de garder secrète l’adoption d’un bébé en constituant un album de photo fictif...
Un couple, Bahar et Cüneyt ne peuvent pas avoir d'enfants. En Turquie, c'est un motif de honte ; Cüneyt doit donc feindre constamment qu'elle est enceinte et Bahar constitue un album photo en guise de preuve. Ils effectuent des démarches fastidieuses pour adopter et obtiennent finalement satisfaction, malgré un premier échec. Mais tout se sait dans leur région, et bientôt la rumeur se répand qu'ils ne sont pas les parents biologiques de leur fils. Humour à froid, burlesque... Un nouvel auteur à suivre à travers ce surprenant premier long-métrage turc sélectionné au festival de Cannes 2016 par la Semaine de la critique et récompensé par de nombreux prix internationaux.
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Mehmet Can Mertoglu part d’une anecdote simple pour y faire peu à peu résonner tous les archaïsmes qui étouffent son pays : en Turquie, l’in
Mehmet Can Mertoglu part d’une anecdote simple pour y faire peu à peu résonner tous les archaïsmes qui étouffent son pays : en Turquie, l’infertilité étant considérée comme honteuse, un couple de quadragénaires cache son recours à l’adoption en constituant un album de photos où la femme pose avec un ventre artificiel. En accumulant ainsi les fausses preuves d’une grossesse fictive, ils perpétuent un acte particulièrement problématique dans ce pays, jusque dans les récents bouleversements politiques qui l’ont agité : réécrire l’histoire. L’ironie du film veut que l’homme soit justement professeur d’histoire dans un lycée. On sait combien Recep Tayyip Erdogan, que l’on voit ici régulièrement apparaître à la télévision ou en photo sur les murs des administrations, a lui-même fondé son image autoritaire sur une réinterprétation faussée de l’histoire, au nom d’une grandeur passée (l’Empire ottoman) artificiellement réhabilitée.
Le film s’ouvre par une longue séquence documentaire s’attardant sur les différentes étapes de l’insémination artificielle d’une vache, de la récupération du sperme du taureau jusqu’à la naissance du veau. Cet incipit animal renvoie à la fois à une vision primaire de la procréation (la virilité du mâle obéissant à sa fonction naturelle : honte à l’infertile !) et aux conditionnements dont les humains sont les objets, presque autant que les bêtes.
Le film montre en effet combien ses personnages répondent docilement à un carcan de fausses valeurs. Non seulement en se soumettant à une conception anachronique de la famille, mais également en faisant preuve d’un racisme trop spontané pour ne pas être enraciné. Aucun personnage ne se sauve de ce cruel tableau ; les représentants de l’administration sont tous apathiques ou désabusés, piliers amorphes ou cyniques d’une société repliée sur elle-même, refusant l’autre tout en s’endormant sur son sort. Précisons que l’humour est quasi constant dans cette fable satirique, mais il est si distant et acerbe qu’il rend le film plus implacable encore. La froideur des décors, la lumière d’aquarium, l’aspect clinique de la mise en scène (étonnamment assurée pour un premier film) figent le rire dans la description impitoyable d’une certaine horreur contemporaine, qui dépasse largement les frontières de la Turquie.
Vision terrifiante de la Turquie, à travers un couple désireux d'adopter secrètement un enfant : être stérile est, à leurs yeux, une honte i
Vision terrifiante de la Turquie, à travers un couple désireux d'adopter secrètement un enfant : être stérile est, à leurs yeux, une honte impardonnable. Le bébé numéro 1 déplaît : une petite fille qui « ressemble à une Syrienne », dit la femme. « Non, à une Kurde », renchérit l'homme. Le numéro 2 est parfait : un garçon mignon tout plein. Mais rien ne se passe comme prévu. Le réalisateur est très doué pour dénoncer la médiocrité, la bêtise, l'obscurantisme. Mais ses jets de vitriol finissent par se dissoudre dans l'affectation de sa mise en scène.
Pierre Murat, 03/05/2017Cette histoire d’un couple infertile désirant absolument donner l’illusion qu’il va avoir un bébé a reçu le prix Révélation France 4. Plans-
Il existe une internationale des cinéastes laconiques, pince-sans-rire. Parmi ses membres virtuels, on pourrait compter Jim Jarmusch, Aki Ka
Il existe une internationale des cinéastes laconiques, pince-sans-rire. Parmi ses membres virtuels, on pourrait compter Jim Jarmusch, Aki Kaurismäki, Corneliu Porumboiu ou Mehmet Can Mertoglu, jeune Turc malicieux dont ce premier film a connu les honneurs de la sélection à la Semaine de la critique, l’année dernière.
Album de famille est l’histoire d’un couple quadra infertile qui décide d’adopter un bébé. Mais la stérilité (surtout masculine) étant considérée comme un signe de faiblesse par une partie de la société turque, le couple décide de s’inventer une fausse grossesse, avec coussin postiche, photos et films de famille bidonnés (c’est le mot).
Cette affaire de faux bidon rond est d’ailleurs plutôt bidonnante, mais le rire se fige parfois dans une pointe de malaise, car il révèle avec ironie des choses finalement pas très enjouées. A commencer par le conservatisme teinté de masculinisme et de fierté mal placée d’un pan de la société qui rend vaguement honteux l’infertilité, comme s’il s’agissait d’une faute et non d’une maladie.
Deuxième info peu rassurante distillée par le film : cet archaïsme ne touche pas que les gens des campagnes reculées, mais aussi les classes moyennes citadines. Le futur père est prof d’histoire, ce qui ne l’empêche pas de céder au mythe de la virilité liée à la faculté de procréer, ou au moins à la pression sociale.
Le couple est également très banalement raciste, balançant tel commentaire antisémite à la cantonade, s’offusquant du teint basané du bébé ou insultant les joueurs noirs en regardant un match à la télé. C’est très drôle (car c’est bien le racisme qui est ainsi brocardé) et très grinçant. Troisième motif d’inquiétude, la facilité avec laquelle chacun peut inventer sa life grâce à la technologie numérique, ce qui est autant source de créativité que de pipeau. Le couple du film crée en quelque sorte la postvérité intime.
Avec ses plans-séquences larges et fixes, Mertoglu construit son récit comme un enchaînement de tableaux du quotidien, tour à tour impassibles, goguenards, mystérieux, voire tout cela à la fois. Il ne juge pas ses protagonistes, ne les héroïse ni ne les fustige, laissant le spectateur décider par lui-même.
Une liberté précieuse et légèrement inconfortable, car il faut bien admettre qu’on aime bien être pris par la main et rassurés quant aux intentions d’un cinéaste. Mertoglu nous laisse nous débrouiller avec ce couple peu aimable, jusqu’à un dernier plan aussi indécidable qu’une question ouverte. La marque d’un cinéaste intelligent et talentueux.
Enceinte, Bahar tient à être beaucoup prise en photo avec son ventre très arrondi et son mari Cüneyt à ses côtés. Ce seront les premières im
Enceinte, Bahar tient à être beaucoup prise en photo avec son ventre très arrondi et son mari Cüneyt à ses côtés. Ce seront les premières images de leur album de famille. Mais ces clichés répondent à d’autres exigences que rappeler cette période de la grossesse : ils s’appliquent à créer un passé fictif à leur enfant. Infertile, le couple s’apprête à adopter un bébé et le ventre de Bahar n’est qu’un postiche.
« En Turquie, de nos jours, la faculté de procréer est considérée comme cruciale, explique le réalisateur Mehmet Can Mertoglu. L’infertilité est vue comme un motif de déconsidération, voire de honte. » Au-delà de cette question, le cinéaste a voulu évoquer la façon dont un pays peut réécrire son histoire, comme le fait la Turquie d’Erdogan avec l’Empire ottoman et les débuts de la République.
Mais plutôt que de s’atteler à un sujet de société, il part de la supercherie de Bahar et Cüneyt pour composer un film à la lisière du burlesque et du surréaliste. Ce long-métrage s’ouvre sur une scène d’insémination d’une vache par un taureau dans un cadre aseptisé – façon de dire le parcours du couple avant d’envisager l’adoption. Avec ses poissons en aquarium et ses basses-cours agitées, Album de famille file volontiers les métaphores animales limpides.
Des ellipses confortent cette étrangeté ludique et caustique, tout comme un réjouissant art du cadrage. Plans fixes ou travellings ne donnent la signification d’une image qu’en plusieurs temps avec une drôlerie décalée. La caméra glisse par exemple d’une citation d’Atatürk glorifiant la jeunesse à une salle de classe en plein chaos, avant d’en livrer le contexte.
Dans un long plan-séquence sur l’immeuble de Cüneyt et Bahar, le spectateur finit par découvrir un élément macabre et l’effet comique à la noirceur assumée surgit du passage d’ambulances qui ne jouent pas le rôle espéré. Sur le même ton pince-sans-rire, Album de famille épingle avec férocité l’administration, le racisme banalisé et l’hypocrisie des relations sociales.
Si dès ce premier film, malgré ses défauts, Mehmet Can Mertoglu apparaît comme un lointain héritier de Tati et un petit-cousin méridional de Kaurismäki, une narration atypique, un humour sarcastique et une chute énigmatique laisseront de côté une partie des spectateurs.
Peut-on réécrire l’histoire en en falsifiant les cadres ? Un couple va tenter le coup dans la Turquie d’aujourd’hui où l’infertilité est con
Peut-on réécrire l’histoire en en falsifiant les cadres ? Un couple va tenter le coup dans la Turquie d’aujourd’hui où l’infertilité est considérée comme une tare. Avant de les rencontrer, nous avions assisté à la saillie très clinique d’un taureau, observé le résultat biologique sous la lentille d’un microscope, visité un aquarium dans lequel une murène se glissait comme une soie imprimée à travers des anneaux disposés dans son aquarium. De l’autre côté de la vitre, languissent quelques spécimens humains.
Mehmet Can Mertoglu aura installé ses longs plans fixes, ses panneaux de verre trompeurs. De l’eau à la plage, il n’y a qu’un pas. C’est là que nous rencontrons Bahar et son époux Cuneyt. Ils se font photographier par des amis comme si ces portraits en pied représentaient le seul objectif d’une échappée plutôt coincée. Bahar porte un ventre arrondi de femme enceinte. Faux, le ventre. Fausse, la grossesse. Un processus d’adoption est en cours, à dissimuler absolument. Ils sont tous deux fonctionnaires. Lui enseigne l’histoire au lycée. Elle est employée de l’administration fiscale. Nous allons à leur suite maussade nous égarer vers différents bureaux de différentes institutions comme autant de culs-de-sac. Dans des décors toujours succincts, les personnages proféreront des propos volontiers atterrants, teintés d’absurdité et d’un léger égarement.
Bahar, Cuneyt et leurs éventuels interlocuteurs sont traités à distance ironique, voire pire. Ils refusent une première petite fille au prétexte « qu’elle a l’air syrienne ou kurde ». Au second voyage en direction d’un autre orphelinat, Bahar pense qu’avoir rêvé de betteraves est de bon augure. Son mari ne la dément pas. Proviseur du lycée où exerce Cuneyt, directeurs de maison d’enfants abandonnés, commandant de police, les échanges avec ces figures responsables croisent l’ordinaire de l’indifférence tatillonne.
Au long de ce film en pointillé, le réalisateur sème toutes sortes d’indices. L’emballement des prix de l’immobilier, l’engouement pour des écoles privées baptisées « leader » ou « succès », les plateaux de télévision où il est impossible d’évoquer le « problème kurde » sans recourir à la publicité pour pacifier le studio. Ne pas oublier la justice forcément « laxiste » et les enfants qui ne se donnent plus de mal, écho grinçant d’une citation d’Ataturk lue sur une fresque à la gloire de l’éducation : « Ma seule espérance est dans la jeunesse. » Les enfants sont bien seuls. Une obsession a envahi l’espace : le foot, le foot, le foot. Prétexte ici à tous les vocables racistes ou homophobes jetés comme de rien. Les parties ne disent pas le tout, mais Mehmet Can Mertoglu se place sous les auspices, revendiqués, de Pierre Etaix et Jacques Tati. Il a choisi pour chef opérateur Marius Panduru, qui a travaillé avec le Roumain Corneliu Porumboiu sur Policier adjectif et 12 h 08 à l’est de Bucarest. D’instantané en instantané, l’album se crée, les véritables péripéties absentes de ses feuilles. Comme partout. Au générique de fin, une belle pièce musicale de Gounod, le Veau d’or.
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