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Qui jette un œil rapide à la filmographie de Jonathan Demme, voit saillir immédiatement deux films qui firent date. Le premier, conte horrifique, rafla en 1992 un nombre impressionnant d’oscars : Le Silence des Agneaux emporte cette année-là cinq statuettes décernées : pour Jodie Foster (pour le rôle de Clarice Starling, brillante enquêtrice du FBI poursuivie par un trauma d’enfance), Anthony Hopkins (pour son interprétation d’Hannibal Lecter, psychiatre et serial killer raffiné), Ted Kelly, pour le scénario adapté d’un roman de Thomas Harris, Jonathan Demme réalisateur de ce thriller glaçant, et enfin, dans la foulée de cette serial oscarisation, au film lui-même. L’engouement de l’académie, redoublé par celui du public, pour cette histoire où il est question de cannibalisme et de cadavres dépecés (et du crime vu comme une forme ultime de perversion sexuelle) serait en soi un sujet d’étude.
Il est vrai que le film, par sa réalisation précise, son esthétique très dirigée (qualité volontairement glauque de la photographie), son humour distancié, met en place une mécanique diablement efficace qui en a fait pour longtemps une sorte d’étalon (de Seven à la série télévisée Dexter, toute une lignée d’œuvres s’y réfère). Seules notes discordantes dans l’accueil fait au Silence des agneaux, des associations homosexuelles virent dans le personnage du psychopathe Buffalo Bill une caricature sous-tendue par une vision homophobe. La critique toucha vivement Jonathan Demme et motiva, dit-on, la réalisation de Philadelphia (1993), attendu et salué à l’époque comme le premier film hollywoodien à parler du sida. Porté par l’interprétation de Tom Hanks (oscar du meilleur acteur), dont le personnage, atteint du sida, blêmissait, s’étiolait et mourait à petit feu tout au long du film, Philadephia était plus qu’un plaidoyer bien-pensant et consensuel (comme l’étiquetèrent à sa sortie un certain nombre de critiques) : il montrait avec beaucoup de finesse à quel point la peur et le rejet de la maladie fleurissaient alors sur le terreau de l’homophobie ordinaire.
Curieusement, ces deux films phares, dans leur classicisme soigné, reflètent assez peu l’ensemble de l’œuvre de Demme.
Né en 1926 en Floride, il s’est lancé dans le cinéma dans le sillage de Roger Corman, l’as de la série b, auteur prolifique, réputé pour sa géniale débrouillardise, auprès duquel ont débuté, entre autres, Scorsese ou Coppola.
Dans les premiers films de Demme, polars aux scénarii brouillons, à la réalisation hâtives (Cinq femmes à abattre, 1974, Crazy Mama, 1975…), on devine l’influence de Corman, doublée d’une petite musique déjà très personnelle : une prédilection pour des personnages marginaux, zonards un peu barrés, que le réalisateur filme avec affection et un humour parfois féroce mais jamais méprisant (Citizen Band, 1977, Melvin and Howard, 1980). C’est ce regard, nourri d’un millefeuille de clins d’œil cinéphiles (de Capra à Hitchcock), qui enchante dans Dangereuse sous tous rapport (1987), l’une des plus belles réussites de Demme : soit l’échappée en roue libre de New York jusqu’en Pennsylvanie (aller retour), d’une jeune vamp déglinguée (Mélanie Griffith) et d’un cadre dynamique (Jeff Daniels) loin d’être aussi candide et straight qu’il n’en a l’air. Débridé, emporté par la BO co-signée par David Byrne, Laurie Anderson et John Cale, le film démarre comme une comédie pimpante, finit en thriller sanglant, sans jamais égarer en route sa fraicheur, son énergie joyeuse. Du même moule sort Veuve mais pas trop (1988), où Michelle Pfeiffer incarnait la veuve mafioso, défiant son encombrante « famille » d’adoption et larguant les amarres.
Aventureux, souvent surprenant dans ces choix de scénarii, Jonathan Demme a aussi essuyé un certain nombre de fours, qui se sont accumulés au tournant des années 90, après la sortie de Philadelphia : Beloved (1998), calamiteuse adaptation du beau roman éponyme de Toni Morrisson, La Vérité sur Charlie (2001), remake truffé de clichés du Charade de Stanley Donen, Un Crime dans la tête (2003), film d’anticipation à demi convaincant. Au milieu de ces plantages surnage, Rachel se marrie (2007), intéressant mélodrame familial, filmé caméra à l’épaule, selon les principes du dogme de Lars Von Trier.
A côté de ses films de fiction, Jonathan Demme bâtit plus discrètement mais avec autant de constance une œuvre de documentariste fort touchante car elle dessine de film en film la carte de ses amitiés, de ses engagements et de ses passions.
Demme filme ses rencontres avec des personnages qui l’épatent, lui font voir le monde autrement : son cousin (Cousin Bobby, 1992), pasteur dans les quartiers les plus déshérités de Harlem, son voisin Spalding Gray, acteur de seconde zone embauché pour quelques répliques sur le tournage de La Déchirure (Swimmin’to Cambodia, 1987), le journaliste haïtien Jean Dominique, animateur de Radio Haïti, opposant au régime d’Aristide, assassiné en 2000…
Grand mélomane, fasciné par la scène, il a également signé Stop making sens (1984), captation et montage de plusieurs performances des Talking Heads et Heart of Gold (2006) hommage à Neil Young, filmé avec sa vieille bande de cow-boys musiciens, dans un live légendaire à Nashville.
Véronique Cohen
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