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Très vite on a compris que de Ang Lee on pouvait tout attendre : une comédie de mœurs sur un sujet atypique (l’impossibilité pour un jeune taïwanais émigré à New-York de révéler son homosexualité à sa famille dans Garçon d’honneur en 1993), une adaptation appliquée et un peu fleur bleue d’un roman de Jane Austen (Raison et sentiments, 1995), un film de cape et d’épée virtuose dans la lignée des wu xia pian, cinéma d’art martial hong-Kongais (Tigre et Dragon, 2000)…
Le caractère imprévisible de cette œuvre n’est pas le moindre de ses charmes. Maniant les canons narratifs et esthétiques hollywoodiens tout en restant profondément imprégné par la culture asiatique, Ang Lee a sans doute été l’un des réalisateurs les plus récompensés dès ses débuts (ours d’or à Berlin pour Garçon d’honneur et Raison et sentiments, également multinominé aux oscars…). Sa manière à la fois caméléonesque et personnelle n’est sans doute pas pour rien dans cette reconnaissance.
Ang Lee est né à Taiwan en 1954. Ses parents, originaires de Chine continentale, ont tout deux fui le régime communiste et se sont rencontrés dans leur exil, sur l’île où s’était replié le général Tchang-Kai-Chek. Ang Lee étudie le théâtre et le cinéma à Tai Pei puis il part en 1978 poursuivre sa formation dans l’Illinois et à New-York.
De l’aveu du réalisateur, ses trois premiers films (les seuls dont il ait écrit ou co-écrit les scénarii) constituent une « trilogie du père » : le vieux professeur de Taï-Shi de Pushing Hands, son premier long-métrage (1992), le général à la retraite qui veut à tout prix marier son fils dans Garçon d’honneur, et Mr Chu, meilleur chef cuisinier de Tai-Pei dans Sucré Salé (1994) sont autant d’images de pères raidis, corsetés par la tradition, murés en un douloureux repli sur eux-mêmes, incapables de communiquer avec leurs enfants. C’est d’ailleurs le même comédien, le formidable Sihung Lung qui prête ses traits secs, son mélange de brusquerie et de mélancolie, aux personnages de pères dans Garçon d’Honneur et Salé Sucré.
Doit-on voir dans Nick Nolte, qui joue avec flegme le détestable père de Hulk dans le film éponyme de Ang Lee (Hulk, 2003), un ultime avatar de ces figures paternelles ? Il finit en tout cas pulvérisé par son fils, sa créature, son monstre.
Que ce soit sous une forme hypertrophiée comme dans ce divertissement de commande, ou sous un jour intimiste dans des œuvres plus personnelles, Ang Lee n’a jamais cessé de s’intéresser aux liens familiaux en ce qu’ils ont de structurant, contraignants ou suffocants pour l’individu.
C’est le cas dans Ice Storm (1997), beau mélodrame où deux familles de la petite bourgeoisie américaine se délitent dans le contexte des années 70 et de la libération sexuelle. Ou, sur un mode plus enjoué dans Taking Woodstock (2009), ravissante comédie : coincé entre ses parents qu’il ne veut pas quitter, un jeune péquenaud décide en toute candeur d’accueillir autour de l’hôtel décati que tient la famille, plus grand festival pop et contestataire de tous les temps.
Pour certains, Ang Lee est moins un auteur qu’un brillant élève, exécutant avec talent mais froideur des exercices où l’inspiration comme l’imperfection sont gommées. Mais on peut aussi voir là une forme d’humilité, une profonde sensibilité artistique et littéraire qui lui permet de se mettre au service de textes judicieusement choisis, ou de se couler avec goût dans des genres codifiés.
En 1999 il signe Chevauchée avec le diable, un western âpre, puissant, quelques peu éclipsé par la sortie, dans la foulée de Tigre et dragon. Combats chorégraphiés par un des plus grands maîtres du kung-fu, mise en scène éblouissante épaulée par des effets numériques planants, présence de deux grandes stars du cinéma asiatique (Michelle Yeoh et Chow-Yun-Fat), le film qui propose assurément un menu de roi, est un énorme succès de box-office, et reçoit, entre autre récompense, le Golden Globe du meilleur film…
On a gardé pour la bonne bouche le deuxième coup de maître d’Ang Lee. Cinq ans après le triomphe de Tigre et dragon, il réalise Le Secret de Brockeback Mountain (2005), qui lui vaut cette fois l’oscar du meilleur réalisateur. Embauchés pour une saison de transhumance sur les cimes du Wyoming, deux jeunes cow-boys (aussi beaux l’un que l’autre) vivent une idylle fulgurante et taciturne à l’écart du monde, puis s’en retournent à leur vie ordinaire, fondent famille dans l’Amérique provinciale des années 60. Mordus à jamais par le souvenir de leur rencontre, ils continuent de se voir de loin en loin pendant 20 ans et de s’aimer en secret lors de parties de pêche toujours plus mélancoliques. Adapté d’une nouvelle d’Annie Proulx, merveille de concision, toute en ellipse, le film se glisse délicatement dans ce que les mots laissent en suspens, étire le texte sans pesanteur, l’amplifie en un long récit contemplatif illuminé par ses deux interprètes Jake Gyllenhaal et Heath Ledger (mort depuis à l’âge de 28 ans). De cette histoire d’amour singulière, incandescente et étouffée, Ang Lee a fait une œuvre lyrique, simple (mais autorisant plus d’une lecture), qui s’impose comme une romance populaire. Ce qui, somme toute, ne constituait pas un mince défi.
Véronique Cohen
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